Les câbles transatlantiques de communication ou Quand le câble du Cap-Haïtien était le seul lien entre l’Europe et l’Amérique (Tet Ansanm pou Okap et Charles Dupuy)

Aujourd’hui, la communication mondiale instantanée est rendue possible grâce aux câbles en cuivre et en fibre optique qui transportent les données sous l’océan entre les pays. Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft… Les « GAFAM » * ont mis la main sur les nouvelles autoroutes de l’information mondiale, des fibres optiques posées sur le plancher océanique. Au total, 1,3 million de kilomètres, soit 33 fois le tour de la Terre, déployés en à peine trente-cinq ans, depuis 1988, où a été posé le premier câble transatlantique à fibres optiques.
Ces câbles rendent possible l’Internet mondial, mais en fait, nous dépendons des câbles sous-marins pour les communications longue distance depuis plus de 150 ans, depuis que le premier câble télégraphique transatlantique a permis d’envoyer des messages entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. (Note de la rédaction.)
Vous avez dit câbles transatlantiques?
Les câbles télégraphiques transatlantiques sont des câbles sous-marins posés sur le fond de l'océan Atlantique et qui étaient utilisés au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle pour les communications télégraphiques internationales. Avant la pose des premiers câbles transatlantiques, les communications entre l'Europe et les Amériques se faisaient uniquement par bateau et les violentes tempêtes hivernales retardaient parfois les navires pendant des semaines. Les câbles transatlantiques ont considérablement réduit la latence des communications, permettant l’envoi d’un message et la réception d'une réponse le même jour. Ces câbles ont permis les premières télécommunications internationales à longue distance (bien avant celles par téléphone). Le réseau des câbles sous-marins de communication a commencé à être développé dès le milieu du XIXe siècle. Le premier câble sous-marin a été posé en 1851 entre Calais et Douvres. Ce câble télégraphique avait comme objectif de relier les bourses de Londres et de Paris. Progressivement, de nombreux câbles ont été déployés à travers les océans.
Le premier câble transatlantique a été posé en 1858 afin de relier Terre-Neuve à l’Irlande mais quinze jours plus tard, c’est la fin. Il faudra attendre 1866, pour que soit déployé le premier câble transatlantique opérationnel ! Ce câble fut posé par le Great Eastern, le plus grand paquebot du monde reconverti en navire câblier qui embarqua dans ses 3 cuves les 4300 km de câble pesant 3870 tonnes.
Ainsi, l'histoire des câbles sous-marins commence au XIXe siècle avec l'installation du premier câble télégraphique, reliant l'Europe et l'Amérique. Ce premier câble sous-marin a marqué un tournant dans la communication internationale, posant les bases de ce qui deviendra plus tard les infrastructures essentielles du réseau Internet.
Les câbles sous-marins dans les Antilles
Dans les années 1880, le ministre français des Postes et Télégraphes confia à la Société Générale des Téléphones le mandat de poser de câbles destinés à relier les territoires français des Antilles. Un contrat fut attribué à la W.T. Henley Telegraph Works Company en 1887 pour la moitié du noyau et la totalité du blindage tandis que la Société Générale des Téléphones fournissait l'autre moitié du noyau, Henley se chargeant de la pose de tous les câbles. (4)
Au moment où les câbles furent prêts, la société avait été reprise par la Société Française de Télégraphes Sous-Marins. La pose eut lieu en 1888 comme suit et les câbles entrèrent en service la même année.
Le SS Westmeath, construit en 1882 par Sunderland Shipbuilding Co. (Longueur 320,0' Largeur 42,4' Profondeur 19,0' Tonnage brut 3342) est propriété de W.T. Henley Telegraph Works. Affrété en 1887 par la Société Française des Télégraphes sous-marins pour poser des câbles aux Antilles.
Le WESTMEATH a ainsi effectué les travaux suivants : Poses des câbles transatlantiques entre Santiago de Cuba - Guantanamo, Cuba (1888), puis Guantanamo, Cuba - St Nicolas Mole, Haïti et enfin Môle Saint-Nicolas - Cap-Haïtien, Haïti, Cap-Haïtien - Puerto Plata, République Dominicaine.
Quand le câble du Cap-Haïtien était le seul lien entre l’Europe et l’Amérique (Charles Dupuy) …
C’est sous la présidence de Salomon**** et en présence de celui-ci que fut inauguré le service international du câble télégraphique sous-marin au Môle Saint-Nicolas. Le réseau devait s’étendre à d’autres villes du pays parmi lesquelles, le Cap-Haïtien. Le câble sous-marin assurait les communications aux quatre coins de la planète et représentait à l’époque, une extraordinaire avancée technologique.
Toutefois, au fil des années, le câble sous-marin sera délaissé et il n’en restera plus chez nous que des vestiges, de tristes vestiges qui firent leur surprenante apparition dans le courant des années 1960 quand, alors que l’on effectuait des travaux de dragage dans le port du Cap, on vit sortir des flots tout un écheveau de câbles abandonnés qui, à une certaine époque, reliait la ville au reste du monde. (**)
Au début de la Grande Guerre (14-18), les sous-marins allemands, les fameux U-Boat, coupèrent de façon systématique tous les câbles transatlantiques reliant l’Europe au continent américain***. La seule ville dont les câbles furent épargnés par les submersibles du Kaiser, et cela sans que personne ne pût trouver une bien claire explication à la chose, se trouva être… le Cap-Haïtien.
La compagnie française qui exploitait le câble transatlantique dépêcha alors en catastrophe une vingtaine de jeunes techniciens au Cap, avec la délicate mission de gérer cet unique et fragile lien de communication télégraphique qui restât entre l’Europe et l’Amérique. Le séjour de cette équipe de techniciens allait s’étirer et c’est ainsi qu’au fil des années la plupart de ces jeunes hommes épouseront des filles du pays, des Capoises le plus souvent. On aura compris qu’ils avaient fait souche en Haïti, ce pays qui était devenu leur nouvelle patrie.
Les câbles sous-marins, des infrastructures stratégiques au cœur de la politique internationale
Depuis plus de cent cinquante ans, l’activité câblière a connu de profondes évolutions technologiques (le passage des câbles binaires en cuivre pur, au câbles coaxiaux, aux câbles à fibre optique). Il est estimé que 486 câbles sous-marin de communication sont actuellement en fonctionnement. « Ils sont répartis sur trois grands axes, pour vraiment schématiser la cartographie des câbles. L’axe transatlantique, donc Europe-États-Unis, l’axe Europe-Asie, qui passe par le canal de Suez, et l’axe transpacifique, Asie-Amérique ».
Aujourd’hui, les câbles sous-marins de communication sont des canaux essentiels pour le transport des flux d’informations. Ils contribuent au bon fonctionnement du Cyberespace définit par l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) comme « l’espace de communication constitué par l’interconnexion mondiale d’équipements de traitement automatisé de données numériques ».
Plus de 95 % des communications mondiales transitent par les câbles sous-marins. S'appuyant sur près de 1,5 million de kilomètres de câbles sous-marins en fibre optique, Internet a changé le monde. Et ces câbles, qui sillonnent le fond des océans et touchent les continents et les pays, passent largement inaperçus aux yeux d'une planète entière qui en dépend désormais pour de nombreuses activités quotidiennes. Les systèmes de commandement financier et militaire des États-Unis dépendent de câbles sous-marins mondiaux. Des milliers de milliards de dollars de transactions quotidiennes signifient que l'ensemble de l'économie mondiale dépend de câbles sous-marins. On estime que plus de 10 000 milliards de dollars de transactions financières quotidiennes transitent aujourd’hui par ces « autoroutes du fond des mers ». C’est notamment le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale, Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications), qui a été interdit à de nombreuses banques russes, en représailles à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La sécurité de ces transactions est une question politique, économique et sociale. C’est un enjeu majeur qui a longtemps été ignoré.
L'accès à l'information pour les populations du monde entier dépend de ces câbles sous-marins. De nos jours, les câbles sont enterrés dans des eaux de moins de 2 000 mètres de profondeur, mais de plus en plus souvent, ils sont enterrés dans des fonds marins plus profonds pour se protéger de la pêche en haute mer et du chalutage de fond. Cependant, cette méthode peut également être avantageuse contre les attaques physiques du crime organisé.
Comme autrefois pour les câbles télégraphiques, aucun État n’investit directement dans ces autoroutes de l’information. Ce sont les opérateurs des télécommunications traditionnels qui misent sur ces infrastructures. Cependant, ils ne peuvent plus rivaliser avec les géants du net. Les câbles appartiennent en majorité – un peu plus de 50 % – aux GAFAM, en premier lieu à Alphabet, la maison mère de Google et YouTube, et à Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp).
Ainsi, en 2021, un consortium, composé d’opérateurs de téléphonie mobile mais aussi de géants des nouvelles technologies comme Google et Facebook, a annoncé l’extension du câble sous-marin 2Africa, qui a pour but d’apporter la 4G et la 5G à plus d’une trentaine de pays. Le câble reliera trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, en passant par la Méditerranée, la mer Rouge, le golfe d’Aden, le golfe Persique, l’océan Indien puis l’océan Atlantique, jusqu’à la Grande-Bretagne, soit un quasi-tour du monde. Alors qu’il devait à l’origine offrir du réseau à 1,2 milliard de personnes, 2Africa touchera avec cette extension « 1,8 milliard de personnes supplémentaires, soit 3 milliards de personnes au total, ce qui représente 36 % de la population mondiale ».
Comme au début du développement des câbles sous-marins, ces câbles sont hautement stratégiques. Les tensions géopolitiques se sont intensifiées entre la Chine et les États-Unis et les câbles sous-marins sont au cœur de l’enjeu des communications. En 2021, le groupe Team Telecom de la Maison-Blanche (créé par Donald Trump) a fait bloquer un câble Albaphet/Google et Meta/Facebook entre les États-Unis et l’Asie, car il passait par Hong Kong. Les États-Unis ne veulent aucune connexion directe avec la Chine ni avec Cuba, d’ailleurs. De son côté, la Chine fait tout pour retarder une liaison du trio américain, japonais et singapourien qui doit passer par la stratégique mer de Chine.
Dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les fonds marins constituent plus que jamais un terrain d’affrontement qu’il faut maîtriser pour être prêt à se défendre. Les forces armées occidentales envisagent désormais le scénario cauchemardesque d’un black-out total d’Internet en Europe, puisque 99 % du réseau mondial passent par les câbles sous-marins.
Les défis actuels de ces infrastructure névralgiques
La création d’un programme mondial destiné à accroître les capacités en matière 1) de prévention contre les attaques visant ces infrastructures et 2) de réparation des dommages qu’elles pourraient infliger devient plus urgente que jamais. Les navires russes, « de pêche » ou « océanographiques », et qui sont généralement collecteurs de renseignements, sillonnent de plus en plus les côtes de la France et de l’Irlande par lesquelles passent ces autoroutes de l’information. Dans ce contexte d’accroissement des tensions internationales, la question de la création de ce programme mondial, visant à l’augmentation des opérations de dissuasion des attaques de ces infrastructures et au développement d’une capacité de construction et de réparation à la hauteur des enjeux, mérite d’être posée.
Il ne faut pas oublier qu’en assurant la connectivité entre les continents, les câbles sous-marins Internet sont la colonne vertébrale du réseau mondial. Leur installation, maintenance et protection sont indispensables pour soutenir une économie numérique dynamique et sécurisée. Alors que la demande mondiale en bande passante continue de croître, l'innovation dans la conception et la gestion de ces câbles sera d’autant plus importante pour répondre aux défis futurs.
Alors que protéger les lignes internet océaniques des velléités de sabotage ou d’espionnage apparaît techniquement ardu (en 2017 plus de 1,1 million de kilomètres de câbles traversaient les profondeurs de la planète bleue), plusieurs experts en appellent au droit international. A minima, un régime de coopération interétatique volontaire permettrait par exemple aux États de prévenir collectivement les actions criminelles ou terroristes sur le réseau câblé maritime mondial.
Une mesure plus audacieuse reviendrait à négocier une convention internationale sur la question, semblable à la « Convention de 1884 pour la protection des câbles télégraphiques sous-marins ». Le cyberespace, pour l’heure largement soumis aux lois de la jungle, pourrait ainsi être en partie régulé par le droit de la mer… (8)
NOTES
* Les câbles télégraphiques transatlantiques étaient des câbles sous-marins qui passaient sous l'océan Atlantique pour les communications télégraphiques. La télégraphie est une forme de communication obsolète et les câbles ont été mis hors service depuis longtemps, mais les communications téléphoniques et les données sont toujours acheminées par d'autres câbles de télécommunications transatlantiques.
**GAFAM est l'acronyme des géants du Web — Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft — qui sont les cinq grandes firmes américaines (fondées entre le dernier quart du XXe siècle et le début du XXIe siècle) qui dominent le marché du numérique.
*** Onfray, Robert. The Cable Cutting.
**** Dans les années 1880, l'administration Salomon déploie d'énormes efforts pour moderniser Haïti. Elle adhère à l'Union postale internationale et émet son premier timbre-poste. En octobre, elle accorde à une compagnie de câbles britannique le droit de relier Port-au-Prince et Kingston, en Jamaïque, et en 1887, elle négocie la liaison de Môle-Saint-Nicolas à Cuba. (Note de la rédaction)
*****Comme la plupart des pays, l’Amérique Latine et les Caraïbes sont reliés au réseau mondial de fibres optiques. C’est C&W, une filiale en propriété exclusive de Cable & Wireless Communications et un fournisseur de services de télécommunications en gros qui offre une capacité IP à large bande aux opérateurs de télécommunications mondiaux, régionaux et locaux, aux câblodistributeurs, aux fournisseurs de services Internet et aux intégrateurs de réseaux, exploite le plus grand réseau sous-marin de fibres optiques multi-anneaux.
Reliant plus de 40 pays, dont Haïti et la République Dominicaine, le réseau de fibre optique sous-marin en anneau entièrement protégé de la société s’étend sur plus de 50 000 km. Haïti est desservie par deux réseaux de fibre optique entièrement protégé de la société de communication C&W Networks : BDSNI et FIBRALINK. Ils permettent tous deux de connecter le monde à la République de Port-au-Prince en passant par KaliKo (Zone Montrouis).
- BDSNi (Bahamas Domestic Submarine Network international) est un système de câble de communication sous-marin à fibre optique qui relie les îles des Bahamas et fournit également une connectivité à Haïti via une connexion de dérivation. BDSNI est exploité par la Natcom qui a hérité de l’infrastructure de la Teleco.
- Pour parer à des problèmes, une liaison fibre optique Port-au-Prince/République Dominicaine passant par Ouanaminthe a été mise en place. FIBRALINK est exploité par la Digicel. Ce réseau relié également la Jamaïque à la République Dominicaine. Le système de câbles de télécommunications sous-marins à fibre optique Fibralink est devenu opérationnel vers mars 2012 Le câble se compose de 3 paires de fibres et a une capacité de conception initiale estimée à 7,2 Tbps. Le système a une longueur de 1100 kilomètres et est détenu et/ou exploité par C&W Networks.
RÉFÉRENCES
1. Wikipédia. . Le cable sous-marin.
2. Du télégraphe à Internet : l'incroyable histoire des câbles sous-marins.
3. BENECH, Emil. Facebook et Google sont derrière l’installation du plus long câble sous-marin du monde, long de 45 000 km.
4. Glover, Bill. La Société Française des Télégraphes Sous-Marins.
5. Pour en savoir plus. Les câbles qui relient le monde.
6. Chappez, Jean.Les câbles sous-marins de télécommunications. In: Annuaire français de droit international, volume 32, 1986. pp. 760-778.
7. Rapin, Alexis. Câbles sous-marins : talon d’Achille de l’internet global.