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Signé Cap-Haïtien

François Saint-Surin Manigat (Charles Dupuy)

Issu d’une famille d’éducateurs, François Saint-Surin Manigat est né au Cap-Haïtien le 7 mars 1847. Boursier du gouvernement haïtien à l’âge de 11 ans, il se rendit en France pour étudier à Versailles et puis à Paris, où il fut reçu bachelier ès lettres à la Sorbonne en 1869. Très impressionné par sa visite de l’exposition universelle de 1867, le jeune Manigat restera durablement marqué par la France du Second Empire «avec le développement prodigieux de l’industrie, des banques, des chemins de fer, des grands travaux d’urbanisme d’Hausmann, des fastes de la cour impériale et des salons bourgeois exprimant la prospérité nationale». (Leslie F. Manigat, La crise haïtienne contemporaine, 1995, p.125) C’est également à Paris qu’il rencontra Lysius Félicité Salomon jeune, le ministre haïtien auprès de la cour de Napoléon III qui le «prit en belle passion pour son intelligence, son sérieux et ses succès scolaires». (Manigat, p.126) Forcé par les événements de renoncer au concours d’entrée à l’école militaire de Saint-Cyr, Manigat, au moment de quitter la France, avait vécu le siège de Paris, la chute du Second Empire et les troubles de la Commune.

À son retour au Cap, Manigat enseigne au lycée Philippe-Guerrier avant de fonder son propre établissement, le Collège François-Capois. Entre-temps il avait épousé Marie Magny, une descendante du général Étienne Magny, l’un des plus célèbres héros de la guerre de l’indépendance. Cultivé, spirituel, brillant, Manigat s’engage en politique en fondant le journal, Le Vigilant, un organe officieux du parti National, dont il sera le principal rédacteur. En 1879, François Saint-Surin Manigat était élu député de la Plaine-du-Nord. Cette élection marquait le vrai début de sa carrière d’homme d’État puisqu’il deviendra bientôt président de la Chambre des députés et, bien plus encore, chef du cabinet particulier de son ancien protecteur devenu président de la République, Lysius Félicité Salomon jeune.

Nommé ministre de l’Intérieur par Salomon, Manigat sera le collaborateur privilégié du président, son homme de confiance et son homme lige. En mars 1883, quand il s’agira de combattre l’insurrection libérale et de monter le siège de Miragoâne, Salomon choisit le ministre Manigat pour en faire le délégué extraordinaire du gouvernement chargé des opérations militaires. Après Miragoâne, Manigat conduira le siège de Jacmel où il ne tarde pas à acquérir une fâcheuse réputation de chef militaire impitoyable, de sinistre «mangeur de mulâtres»*. Très satisfait des états de service de son bras droit, Salomon se plaisait à le désigner affectueusement comme son second, son fils préféré devant son entourage. Ces innocentes imprudences allaient alimenter les intrigues contre Manigat et lui causer les plus grands déboires politiques. À l’époque en effet, le président déclinant s’accrochait plus que jamais au pouvoir et refusait d’envisager de passer la main à un successeur. C’est donc sans état d’âme qu’en 1888, Salomon obligea deux de ses plus fidèles ministres, Légitime et Manigat, à prendre le chemin de l’exil. À Légitime d’abord, Salomon suggéra un voyage en Europe alors qu’il conseillait à Manigat de s’éloigner du pays pour une période de trois mois, le temps pour lui de rétablir l’ordre. Le 2 juin, Manigat embarquait sous bonne escorte à bord de la Grande-Rivière, un vapeur de la compagnie haïtienne Rivière qui le déposera à Santiago de Cuba. C’était le début d’un long périple qui devait le conduire jusqu’à Paris. Le lendemain de son départ, Salomon donna une de ses fameuses audiences au Palais national au cours de laquelle il déclara: «Pour ce qui est du général Manigat, j’avais pour lui tous les égards possibles, et le considérais comme un fils; et il y a de cela 15 jours, on m’aurait mis le couteau sur la gorge, que je l’aurais tenu pour un innocent, mais il a fait une chose inouïe dans la nuit du jeudi à vendredi, et j’ai immédiatement ordonné son départ qui était déjà décidé, et j’ai dit au général Hérard que ce député aurait à quitter le pays dans les 24 heures pour ne pas me porter à sévir contre lui. J’avais ordonné de le faire partir, même à la nage». (Roger Gaillard, La République exterminatrice, vol 1, 1984, p.114)

Quatre mois plus tard, c’est le président Salomon lui-même qui, chassé du pouvoir, débarquait à Paris. C’était d’ailleurs pour y mourir le 19 octobre 1888. Aux funérailles du président haïtien, les honneurs militaires lui furent rendus par un régiment, le président de la République française de même que son ministre des Affaires étrangères se firent représenter, mais pas un seul discours ne fut prononcé sur sa tombe au cimetière de Passy. On remarqua surtout l’absence de Manigat, l’ancien ministre de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Instruction publique de Salomon. Six ans plus tard, Manigat jugea bon d’expliquer son absence aux obsèques du président Salomon dans une brochure dans laquelle il prétendait avoir suivi l’exemple de Salomon lui-même qui, en 1867, à Paris, avait refusé d’assister aux funérailles de Damien Delva, son ancien collègue dans le cabinet de Faustin Soulouque, parce qu’il ne voulait pas aller «là où il n’aurait point senti son cœur l’accompagner». Manigat se montrait d’autant plus rancunier à l’endroit de Salomon que celui-ci l’avait «jeté sur la terre d’exil et flétri publiquement», l’avait même, peut-être, définitivement écarté du pouvoir. En effet, lorsque le 7 septembre 1888, Manigat arriva à Port-au-Prince à bord du steamer hollandais Prinz Mauritz, une foule de citoyens armés marcha en direction du port pour l’empêcher de descendre du bateau, tandis que des cavaliers montaient la garde devant sa résidence de Martissant, Eden-Villa, craignant qu’il ne s’y fût rendu en chaloupe. Le malheureux exilé se vit ainsi contraint de continuer sa route jusqu’à l’île de Curaçao.

C’est donc de l’étranger que Manigat assista à l’affrontement entre Légitime, son éternel rival qui s’était proclamé président à Port-au-Prince et le clan des hommes du Nord commandé par Hyppolite. Après un an de guerre civile, Florvil Hyppolite entrait triomphant dans la capitale haïtienne et s’installait au Palais national. Presque au même moment, François Saint-Surin Manigat débarquait à Port-au-Prince et retournait à Eden-Villa. C’était pour vivre sous la plus vigilante surveillance policière. En effet, le 2 février 1890, au moment de sa rencontre avec le chef d’État dominicain Ulises Heureaux à Thomazeau, Hyppolite, pour mieux les tenir à l’œil, n’avait pas oublié de se faire accompagner par les généraux Hérard Laforest, Boisrond-Canal et, bien entendu, François Saint-Surin Manigat.

Le 22 mai 1890, Saint-Surin Manigat était convoqué par Turenne Jean-Gilles, le commandant de l’arrondissement de Port-au-Prince qui lui ordonna de quitter le pays. Manigat courut se réfugier au consulat du Danemark et, le 28 février, s’embarquait pour Kingston. La mauvaise fortune de Manigat avait été prévue par le ministre de France qui, dans sa dépêche du 4 février 1890, traçait ce portrait assez peu flatteur du général: «Jeune, actif et ambitieux, il avait dû quitter le pays et aller se réfugier en France peu de mois avant la chute de Salomon [...] à peine de retour à Port-au-Prince qu’il y sème la zizanie. Dans un journal qu’il fonde et qu’il intitule Le Pays, il fait revivre les haines de préjugés de couleur et de partis. Il déclare que les nationaux, (les noirs) sont les maîtres du pays et que les libéraux (les mulâtres) doivent courber la tête. C’est d’autant plus malheureux [...] que ces haines qui avaient fait tant de mal au pays semblaient être oubliées, attendu que la population du Nord qui est entrée victorieuse à Port-au-Prince, ne les connaît pas. De là, des polémiques continuelles dans les divers journaux du pays. Le général Manigat espère, par ce moyen, se faire un piédestal pour arriver au Pouvoir. Il créera, il n’y a pas à en douter, de sérieux embarras au Général Hyppolite qui sera amené, à un moment donné, à prendre envers lui la même mesure que celle employée par le général Salomon». (cité par Gaillard, op. cit. p.186)

De son exil jamaïcain, Manigat deviendra l’homme à craindre du président Hyppolite, son adversaire politique le plus sérieux. Quand un groupe d’exilés dominicains armés par le gouvernement haïtien traversa la frontière nord, le «caudillo» dominicain Heureaux invita Manigat à rallier Santo-Domingo où tout l’équipement militaire nécessaire au renversement d’Hyppolite serait mis à sa disposition. Prudent, Manigat n’enverra qu’un émissaire dans la capitale dominicaine avec pour seule mission de tâter le terrain. Il faisait bien d’ailleurs, puisque quelques mois plus tard, le 18 avril 1893, Hyppolite et Heureaux se réconciliaient dans la baie de Mancenille en signant un accord de coopération et de bonne entente.

Le 15 février 1896, Manigat déclarait par écrit sa candidature à la présidence aux membres de l’Assemblée nationale. Le 29 février de la même année, Tancrède Auguste, le ministre de l’Intérieur et de la Police générale en personne entrait à Eden-Villa. Il se rendit directement à la salle de billard, fit déplacer un «side-board», ouvrit la trappe que dissimulait le meuble, descendit dans la cave et trouva trente carabines avec quelques cartouchières bourrées de munitions. Un domestique effaré conduisit alors le ministre au grenier où il tomba sur vingt autres carabines et autant de cartouchières. Manigat qui projetait un débarquement en Haïti voyait ainsi tous ses plans sabordés. Dans les jours qui suivirent, une foule de ses présumés agents furent arrêtés à Port-au-Prince où l’on craignait plus que tout de provoquer la colère d’Hyppolite. C’est alors qu’à la surprise générale, Mérisier Jeannis, un chef paysan que l’on donnait comme un des lieutenants de Manigat, osa accomplir un audacieux coup de main contre la ville de Jacmel. Furieux, le président Hyppolite prend la tête de son armée afin d’aller contrer l’imprudent et le soumettre, mais il meurt foudroyé par une crise cardiaque aux portes de la capitale. C’était aux petites heures du 24 mars 1896.

Peu après l’événement, le ministre de France envoyait un rapport circonstancié au Quai d’Orsay: «Le fameux général Manigat, écrivait-il, que tout le monde s’attendait à voir débarquer dès la première occasion, et qui aurait été reçu à Port-au-Prince par des acclamations, s’il était arrivé dans les trois premiers jours qui ont suivi la mort du Général Hyppolite, est resté à Kingston, et a enlevé les illusions de ses partisans, en montrant une incertitude et une pusillanimité qui ne sont pas le fait d’un homme désireux d’arriver à ses fins. On m’a rapporté que le Gouvernement désirant le ménager et en même temps l’éloigner, avait l’intention de le nommer Ministre à Paris avec de forts appointements, et que depuis plusieurs jours déjà il était entré en négociations avec lui». (Gaillard, p.316)

Selon Leslie Manigat cependant, François Saint-Surin Manigat aura été écarté de la présidence par ce qu’il appelle «une manœuvre rapide de Boisrond Canal et de Tancrède Auguste à la mort subite de Florvil Hyppolite, [...] alors qu’il était l’homme politique le plus marquant (J-C. Dorsainvil) mais tenu au loin». (op. cit. p.128) Rappelons que c’est Tirésias Simon-Sam, le ministre de la Guerre et de la Marine, qui, le 31 mars, fut élu président par l’Assemblée nationale avec 104 voix sur 111 votants. François Saint-Surin Manigat finira sa carrière comme Envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire d’Haïti à Paris, «où, nous apprend encore Leslie Manigat, la qualité de sa contribution à l’heureux aplanissement des difficultés financières avec la France lui valut la croix d’officier de la Légion d’Honneur (1898)». (p.128) Deux ans après, le ministre François Saint-Surin Manigat mourait dans la capitale française, victime d’une hémorragie cérébrale. C’était le 2 juillet 1900, il avait 53 ans.

* Après avoir dirigé le siège Jacmel, Manigat entra dans la ville en s’engageant à accorder une amnistie générale à la population… «sauf quelques exceptions» disait-il. Contrairement à sa promesse, il usera des plus sanglantes représailles contre les citoyens suspects, des mulâtres pour la plupart, qu’il fit exécuter en très grand nombre. La barbarie des méthodes de Manigat devait révolter l’opinion générale et choquer durablement le sentiment populaire.

Charles Dupuy coindelhistoire@gmail.com (514) 862-7185 / (450) 444-7185
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