....Après Jeannot et Thérèse et d’autres œuvres du même genre de Clément, on relève un autre opéra en vaudeville, composé par le comte De Rosiers, qui fut représenté au palais de Sans-Souci en 1811. Intitulé L’Entrée du Roi à Sans-Souci, cet opéra met en scène les talents musicaux dont est pourvu le royaume de Christophe et comporte une infinité d’indices sur la formation des musiciens et chanteurs à l’Académie du Cap.
C’est une sorte d’opéra mis en abyme, c’est-à-dire qui représente la naissance de l’œuvre donnée en spectacle, par la mise en relief des aptitudes musicales des personnages, par l’appréciation de leurs interprétations, à la manière du petit chef-d’œuvre italien de Domenico Cimarosa (1749-1801), Il maestro di Capella (« Le maître de chapelle »).
L’Entrée du Roi, du comte De Rosiers, comporte des airs en français et en créole selon l’ascendance sociale des personnages. On peut se figurer ainsi que l’Académie de musique du Cap recevait les postulants non pas en tenant compte de leur appartenance sociale mais en évaluant leur talent comme la coutume s’était avérée rentable durant la colonie. Ainsi s’expliquait d’ailleurs, sous le régime français, la présence de violonistes noirs à l’orchestre. Dans le même sens, Les Affiches américaines signalent un nombre important d’esclaves musiciens entrés en marronage et activement recherchés parce que leur habileté à manier l’archet était garante de leur valeur. Ils espéraient très souvent négocier leur transfert de la plantation à l’orchestre ou se vendre eux-mêmes aux concessionnaires de spectacles.
Dans l’opéra du comte De Rosiers, le personnage de Valentin est un domestique s’exprimant en créole. Il compose l’air que chantera Marguerite sa fiancée, elle aussi une domestique aspirant à faire valoir ses talents de chanteuse devant la famille royale. Valentin tire de sa poche la partition qu’il tend à Marguerite et lui en enseigne l’exécution :
Valentin : « Men ! Avek chante cila la ou tan dezire, ou va kontan a stèr . » [Avec cette chanson-là que tu désirais tant, tu seras contente maintenant.]
Marguerite : « A ! Mwen konnen li ! An se ka la mwen va toudswit komanse aprann li, anvan boujwa nou yo rele nou. » [Ah ! J’en connais l’air. Dans ce cas, je commence tout de suite à la pratiquer avant l’arrivée de nos bourgeois.]
Après le chant de Marguerite, Valentin la félicite : « Se chante kon yon anj ». [C’est chanter comme un ange.]
Pourtant, si talentueux soit-il, Valentin n’avait pas été admis à l’Académie de musique. Mais après avoir entendu son exécution des deux premiers airs et son orchestration de la fanfare d’accueil de la famille royale, le Limonadier, autre personnage de la pièce, lui dit : « Pas mal, Valentin, pas mal. Comment as-tu fait ton compte pour n'avoir pas été reçu à l'Académie de musique ? »
À quoi Valentin, qui vient de démontrer son savoir et qui a bien l’intention de se représenter au concours de l’Académie répond : « Sa ou vle, mouche ? Se pa tout moun ki seme ki rekòlte ; men genyen youn jou pou jibyie e youn jou pou chasè. » [Que voulez-vous Monsieur ! On ne gagne pas à tous les coups ; mais il y a un jour pour gibier et un jour pour chasseur.]
Source : Extrait de : Claude Dauphin, Histoire de la musique classique au Cap.