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Signé Cap-Haïtien

À la mémoire du Dr Charles Manigat (compilé par Tet Ansanm pou Okap) - Une grande figure de la ville du Cap-Haïtien vient de s'éteindre: Charles Manigat dit Ti Charles (Stanley Jean-Mary)

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Une grande figure de la ville du Cap-Haïtien vient de s'éteindre: Charles Manigat dit Ti Charles (Stanley Jean-Mary)

Charles Manigat s'est battu contre la mort. Il a aussi combattu en compagnie de beaucoup d’autres les injustices flagrantes de certains régimes qu’a connus le pays. Beaucoup de ses camarades sont morts au combat. En fait, il a jonglé avec la vie et la mort. Charles Manigat reste et demeure une grande figure de la lutte contre la barbarie du pouvoir macoute. Sa longue vie, près d'un siècle, a été une vie d'histoire et de courage.

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Ti Charles a fait partie de cette génération remarquable née à la fin des années 1920, regroupant Luc Jean-Mary (mon feu père), Luc Isidore, Luc B. Innocent (Coco) tué sous Henry Namphy), Louis Noizin, Maestro Hulrick Pierre-Louis, docteur Volamar, Edouard Francisque, etc. En 1934, ils entrent à l'école Frères de l'Instruction Chrétienne et en octobre 1941, ils sont élèves du Lycée Philippe-Guerrier. De là, ils sortiront, pétris des idées patriotiques, citoyennes et dessaliniennes du grand directeur Louis Mercier.

La politique raciste, anti nationale et anti populaire de l'impérialisme américain avait créé une certaine conscience nationale. Les conséquences de la crise du capitalisme mondial entre 1929 et 1933 sur l'économie des néo-colonisés dont faisait partie Haïti après l'Occupation de 1915, la guerre mondiale, impérialiste, visant le partage des marchés qui imposa une économie de guerre, le népotisme du gouvernement de Lescot et en parallèle, les idées révolutionnaires communistes qui rayonnaient sur la place aux côtés des idées d'indépendance nationale après l'effondrement du fascisme et du nazisme, provoquèrent une conjoncture favorable à la lutte populaire et progressiste où, des tendances de droite et de gauche s'agitaient. Suite à la décision de ce gouvernement d'interdire le journal des jeunes militants communistes « La Ruche », en décembre 1945, ces jeunes élèves du Lycée Philippe-Guerrier, disciples du célèbre Louis Mercier se lancèrent dans la bataille le 7 janvier 1946, alors qu'ils étaient en classe de Rhétorique. Si l'idéologie noiriste eût une grande influence dans cette conjoncture de crise, les idées communistes gagnaient du terrain. La récupération du mouvement par les politiciens noiristes provoqua une grande déception chez certains de ces jeunes qui avaient perdu une année scolaire et renforça la conviction chez beaucoup d’autres de poursuivre le combat.

Au lendemain même de la trahison, ils reprirent le combat. Un combat de chaque jour contre ceux-là qui avaient décidé de décimer la patrie. La justice souillée par tant d’infamies; la malversation orchestrée par les autorités de l'état; la domination de l'assemblée nationale par des hommes au service du grand capitalisme bourgeois, étranger et national, insensible à l'exploitation des classes laborieuses; les faveurs accordées aux classes dominantes au détriment des droits populaires et démocratiques; la violation des lois constitutionnelles; le pillage systématique des caisses de l'état; constituaient un tableau permanant qui se déroulait sous les regards d'une population bon enfant pendant des décennies. Le peuple haïtien était insulté, méprisé, humilié et volé par des gouvernements qui se moquaient de toutes les lois. Mais heureusement il pouvait compter sur des géants comme Charles Manigat pour sa défense. Ti Charles, par son combat héroïque avait prouvé aux ennemis du peuple et de la nation qu’il leur serait difficile de gagner la bataille. Il entreprendra d'organiser une résistance dans la clandestinité, formera de nombreux combattants se transformant ainsi en un espoir pour les faibles.

Pendant cette la lutte qui dura plus de 70 ans, son engagement désintéressé et sa conviction démocratique fut le bouclier d'un patriotisme qui fera école au cours des ans. Il endurera toutes les souffrances : la prison, la torture, l'exil, et la maladie. En fait c'était ça sa vie, des "cataclysmes intérieurs", ressentis physiquement et violemment. Dans une société qui valorise l'opportunisme, le populisme et le mercantilisme, beaucoup ont plié ou sont tombés mais Charles Manigat a toujours su se redresser. C'était un guerrier éprouvé.

Bien d'autres chapitres de sa vie ont fait de lui un homme remarquable. Par son charisme, il avait su se tisser un réseau d'amis dans le football. Il créera l'équipe de football Éclair avec des camarades qui s'opposaient au régime de Duvalier. La dictature faisait alors main basse sur toutes les activités populaires pour exercer son contrôle systématique et absolu, ce qui révoltait certains joueurs et aussi des dirigeants. Des progressistes et des révolutionnaires ont dû délaisser leur équipe de cœur : Jean Bernadin, Edouard Baker père, (dirigeants) et Villadrouin Jérôme (joueur du Zénith). Maurice Lindor de l'ASC, André Dugué (Bout), Manfred Antoine et Charles Manigat vont former avec des joueurs talentueux tels que : Fritz Léandre, Théo Jean-Baptiste, Bogota, Ti Tonton Auguste, l'équipe rebelle dénommée Éclair. Fidèle à ses principes, Ti Charles va avec ses camarades dirigeants utiliser des valeurs nobles fondées sur la camaraderie, la franchise, la loyauté et le respect pour permettre aux jeunes joueurs de l’équipe de briller au plus haut niveau du football capois et d'être un exemple de « fair-play ». Ce qui a servi en fait de modèle aux joueurs du club FICA un peu plus tard.

Charles Manigat était l'un des meilleurs odontologues du pays. Il était très apprécié par ses pairs et ses patients. À sa remarquable compétence professionnelle s'ajoutaient une gentillesse naturelle et un grand cœur. Il se donnait pour unique objectif : le soin de ses malades. Charles était d'une éthique exemplaire. Il travaillait avec discrétion, compétence et dévouement, sans jamais passer la rampe, Il n’avait jamais affiché la moindre ostentation, et restait indifférent à l’attrait des grands apparats.

Il était aussi un grand intellectuel et un brillant professeur d'université. En tant que doyen de la faculté de droit, il a haussé le niveau de cette faculté qu'il a voulu privatiser à un certain moment. Je m'étais opposé à cette démarche. Si je ne regrette pas cette aventure, je n'en suis pas très fier non plus car la suite a révélé qu’en grande partie, il avait raison et moi j'avais tort en grande partie tout aussi.

La manière dont il a toujours été attentif à transmettre son savoir, mérite encore le respect. Si sa parole n’a pas revêtu pas aux yeux de certains un éclat éblouissant, elle aura guidé quelques-uns comme : Wilmar Innocent, Hervé André, et bien d'autres ainsi que moi-même à prendre les justes décisions dans des moments difficiles. Ce fut pour moi un grand privilège de l'avoir eu comme professeur et surtout un honneur de lutter à ses côtés contre le CNG.

Charles Manigat est le type d'homme qui ne laisse quiconque insensible à son égard. Sa conviction, sa courtoisie, son calme ont marqué à jamais des hommes et des femmes qui ont eu la chance de le côtoyer. C'est une flamme de la lutte pour une nouvelle Haïti qui vient de s'éteindre. Saluons sa mémoire ! Honorons son héroïsme !

Par son parcours et son réel engagement, Charles Manigat restera à jamais dans la mémoire du monde Combattant. J'invite tous mes compatriotes à ne pas laisser la mort surprendre le grand Jean Bernadin sans l'élever très haut de son vivant. Rendons hommage à ceux qui le méritent pendant qu’ils sont encore en vie.

Source : Stanley Jean-Mary, 9 février 2021.
Hommage de Pierre-Richard Grandjean
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