En visitant le Cap-Haitien, on ne manque pas d’admirer la Cathédrale qui par sa stature, son histoire et son emblématique présence accueille et remplit le visiteur d’une joie indicible que produisent seulement les monuments chargés d’un passé important et qui du coup ont une histoire à raconter. Devant cet édifice s’étale un espace magnifiquement aménagé et dont la structure a beaucoup changé au cours des ans : la Place d’Armes connue aussi sous le nom de Place Notre-Dame. Mais, tout autour de cette Place, en plein centre-ville, toute une série d’édifices sont encore là pour témoigner du passé combien grand de cette cité.
L’un de ces édifices occupe le côté nord-ouest de cette fameuse Place et peut aussi nous raconter sa propre histoire qui ne manque pas de charme. Nous voulons vous présenter la résidence attitrée du plus haut prélat de la religion catholique dans le nord du pays. L’édifice est des plus attrayant.
Mgr Constant Hillion, le premier évêque du Cap a commencé son ministère en 1874, quoique nommé depuis 1872, soit 12 ans après la signature du Concordat de Damiens qui a établi la religion catholique comme la religion officielle du pays. Le diocèse du Cap a été établi depuis 1861. À la tête de chaque diocèse dans le pays était installé un évêque, et où logeait l’évêque devenait un évêché.
Quoique le catholicisme fut déjà établi au pays bien avant le Concordat, (voir L’Histoire Mouvementée de la Cathédrale du Cap-Haitien), et aussi l’Almanach Royal d’Hayti dans son édition de décembre 1814 (p.43) qui mentionne l’existence à l’époque d’un Archevêque et de Palais Archiépiscopal au Cap-Henry, on n’a pas trouvé de traces visibles de cet édifice. L’Archevêque d’alors était Son Eminentissime Révérendissime Monseigneur le duc de l’Anse, Archevêque d’Hayti, Grand Aumônier du Roi.
« L’Archevêque d’Hayti, grand aumônier du Roi, a un beau Palais Archiépiscopal au Cap-Henry, à Sans-Souci, et dans la Paroisse du Quartier – Morin, où se trouve le magnifique Château royal des Délices de la Reine. . . »
Bref, en 1874, quand Mgr Hillion arriva au Cap, la maison qu’il occupa, était louée d’un contribuable de la place, M. Evariste Laroche et était située au coin nord-est de la rue du Canard (rue 10) et de la rue Fermée (rue G). Il y habita jusqu’en 1886.
1886, marqua aussi le décès de Mgr Jean-Marie Guilloux, Archevêque de Port-au-Prince. Le Saint-Siège nomma Mgr Hillion pour lui succéder, et Mgr François-Marie Kersuzan devint le second évêque du diocèse du Cap-Haitien.
À son arrivée au Cap, le 10 novembre 1886, Mgr Kersuzan s’installa dans la maison Lucas, au coin sud-ouest de la rue de la Fontaine (rue 19) et de la rue du Gouvernement (rue D). Ce ne fut pas à proprement parler une résidence d’évêque, et l’évêque devant aussi assurer le logement des prêtres du diocèse s’attela à cette tâche et y parvint tant bien que mal, disons, plutôt bien que mal.
L’épiscopat de Mgr Kersuzan dura 43 ans, et ce fut pendant sa tenure que commença l’histoire de ce magnifique édifice que nous pouvons encore admirer en faisant le tour de la Place d’Armes, même si on dût à plusieurs reprises revenir sur le plan de travail et remettre les mains à la pâte.
Le 8 décembre 1894, Mgr Kersuzan quitta la maison qu’il habitait pour prendre possession de l’Evêché (non encore achevé), bâti dans l’îlet donné par l’État au nord-ouest de la Place Notre-Dame. Cet îlet est borné au nord, par la rue Bourbon (rue 20), à l’est, par la rue du morne des Capucins (rue H), au sud, par la rue Sainte Marie (rue 19), à l’ouest par la rue Vaudreuil (rue I).
Cet Evêché, en bois, commencé en 1892 ne fut achevé qu’en 1895. Il reçut sa bénédiction le 4 février 1896 à l’occasion de la retraite ecclésiastique. Dix ans plus tard, le 25 juillet 1906 à huit heures du soir, il est entièrement détruit par un incendie.
En 1907 et 1908, sur le même emplacement, un autre édifice a été élevé, celui que l’on peut encore voir aujourd’hui. L’entreprise a été confiée à M. Paul Perraud, ingénieur civil, venu en Haïti pour la construction de la Cathédrale de Port-au-Prince. L’édifice tout entier est en béton, mais la main-d’œuvre n’a pas été particulièrement soignée.
Pendant de longues années l’Evêché se trouva dans un état de délabrement qui faisait pitié. En 1931, Mgr Jean Marie Jan, 3e évêque du Cap, se transporta dans une chambre du Collège Notre Dame. Grâce aux valeurs mises à sa disposition à l’occasion de la cession du Collège aux Pères de Sainte-Croix, l’évêque entreprit les réparations nécessaires en 1945. Les travaux furent alors confiés à M. Walter Bussenius qui avait déjà dirigé la restauration de la Cathédrale et qui venait de bâtir le nouveau presbytère.
Après avoir été l’hôte des Pères pendant 14 mois, Mgr Jan quitta le Collège et reprit son domicile à l’Evêché. L’édifice avait subi une transformation complète. Embelli et aéré, il avait été encore agrandi. La galerie nord fut ajoutée, la terrasse bétonnée, un étage fut jeté sur les cuisines et dépendances, une chapelle aménagée dans l’ancien dépôt donnant sur la rue Vaudreuil (rue I). Depuis 1946 donc, l’Evêché devint un édifice qui contribua à la beauté de la Place Notre-Dame.
En même temps que se poursuivait la restauration de l’Evêché, la maison à l’arrière, connue sous le nom de maison Salomon, du nom de celui qui l’avait occupée depuis le départ des Sœurs en 1919, reçut aussi un étage. Cette maison qui avait logé les Sœurs de 1906 à 1919, les reçut à nouveau en 1945.
Octobre 1950, ce fut l’inauguration de l’école maternelle dans cette annexe de l’Evêché, là où habitaient les Sœurs de la Sagesse. Les classes furent tenues par la Sœur Saint-Jean-Baptiste, aidée de Melle Euphronise Célestin, Mademoiselle Fofo, bien connue de plusieurs générations de Capois qui ont été pour ainsi dire « dégauchés » à la maternelle de l’Évêché, ou qui l’ont vue passer en ville. Dès le premier jour des inscriptions, le bataillon enfantin atteignit la centaine et ne s’arrêta que devant l’insuffisance des locaux à contenir tous ces jouvenceaux. Cette école maternelle fonctionna pendant plusieurs décades et servit de « pépinière » à l’École des Frères de l’instruction chrétienne.
1953 vit arriver Mgr Albert Cousineau, quatrième évêque en charge du diocèse. Il occupa les lieux jusqu’en 1974, année de son décès. L’édifice était toujours resté pimpant.
Mgr François Gayot, qui lui succéda en 1974, fut promu Archevêque en 1988 y demeura jusqu’en 2003. Du coup l’édifice s’éleva au rang d’archevêché ou palais archiépiscopal. Il en a bien l’allure.
Quatre autres Archevêques : Mgr Hubert Constant (2003 – 2008), Mgr Louis Kébreau (2008 – 2014), Mgr Max Leroy Mésidor (2014 – 2017) et l’actuel archevêque, Mgr Launay Saturné (depuis 2018) se sont succédés à la tête de la Province Ecclésiastique du Cap-Haitien et y ont été logés. Le dernier en date y habite encore.
Du temps a passé depuis sa création et l’on peut toujours regarder cet édifice avec dans le cœur et dans l’esprit, ce qu’il a représenté et représente encore pour beaucoup de gens qui ont suivi son histoire et qui ne peuvent qu’admirer ce joyau d’architecture qui pare la Place d’Armes. Cet Archevêché/ Palais Archiépiscopal/Kay-Monsèyè-a si cher à notre cœur, est appelé à continuer à répandre ses charmes dans la cité.
Sources :
1. Diocèse du Cap-Haitien, Un Siècle d’Histoire, 1860 - 1960 : Mgr Jean Marie Jan
2. Almanach Royal d’Hayti, 1814 : P. Roux