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Réhabilitation d’un site emblématique : l’ancienne prison du Cap-Haïtien revit en musique (Compilation Tet Ansanm)

Érigée au XVIIIᵉ siècle, l’ancienne prison du Cap-Haïtien constitue un monument historique inscrit au patrimoine national d’Haïti par arrêté présidentiel en date du 23 août 1995. Depuis, plusieurs projets ont été envisagés pour préserver et valoriser ce site emblématique, véritable témoin de l’histoire du pays.

Les projets de réhabilitation

Dès 2012, plusieurs initiatives ont vu le jour. Le gouvernement haïtien avait alors lancé un ambitieux programme de rénovation d’environ 40 maisons et commerces dans la ville du Cap-Haïtien, financé à hauteur de 56 millions de dollars par la Banque mondiale. Ce projet incluait une enveloppe de 44 millions de dollars destinée à la région Nord, notamment pour la réhabilitation de l’ancienne prison en centre culturel et touristique. Malheureusement, en raison de difficultés administratives, ces efforts ont été suspendus, suscitant la frustration des habitants et commerçants.

En 2013, dans le cadre du Projet d’Appui à la Préservation du Patrimoine Culturel et au Développement du Secteur Touristique (PAST), les ministères de la Culture et du Tourisme, avec le soutien de la Banque mondiale, ont proposé de transformer l’ancienne prison en centre culturel. Ce projet visait à réhabiliter l’édifice pour en faire un lieu dédié à la culture et au tourisme.

Plus récemment, en février 2022, l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) a inauguré un Centre de documentation au sud du site. Ce nouvel espace de 136 m², financé à hauteur de 280 000 dollars par la Banque mondiale, a pour mission de sensibiliser, informer et former le public sur l’architecture et le patrimoine. Lire l'article sur notre site (https://www.villeducaphaitien.com/demain-le-cap/protection-du-patrimoine/549-le-centre-de-documentation-de-l%E2%80%99institut-du-sauvegarde-et-du-patrimoine-national-ispan-au-cap-ha%C3%AEtien-compilation-tet-ansanm-pou-okap).

En 2024, la Ville du Cap-Haïtien, en partenariat avec la Nouvelle-Orléans, a lancé le Centre Commémoratif et Polyvalent du Cap-Haïtien (CCMPCH). Ce projet vise à faire de l’ancienne prison un lieu vivant de mémoire, consacré à l’esclavage et aux luttes historiques de la région nord.

Une renaissance musicale au cœur de la restauration*

L’événement phare de 2024 a été l'organisation, pour la première fois, du camp musical d’été du CEMUCHCA dans l’enceinte même de l’ancienne prison, en pleine rénovation. Pendant trois semaines, quelque 300 jeunes musiciens, venus de tout le pays, ont pu bénéficier d’un encadrement intensif malgré les défis logistiques.

Sous la houlette de l’ISPAN, en collaboration avec le programme CEMUCHCA et le soutien de BLUME Haïti, les jeunes ont vu l’espace se transformer littéralement autour d’eux : travaux sur la toiture, escaliers, salles de bains et balcons ont rythmé la première semaine du camp. Une subvention du Barbara’s Fund (Maryland, USA) et d'autres donateurs ont permis des réparations de dernière minute essentielles.

Malgré les conditions difficiles – hébergement sous tentes, pluies torrentielles, longs trajets depuis des régions parfois enclavées – des jeunes de 8 à 20 ans, issus de 45 écoles de musique réparties dans 9 des 10 départements du pays, ont répondu présents.

Lorsqu'une jeune génération est ainsi démunie, ce camp lui offre un cadre et un objectif », explique Neat Achille, directeur de l’ISPAN pour le Nord. Même si la première édition a été confrontée aux contraintes des travaux en cours, nous disposons désormais d’un lieu adapté pour accueillir durablement nos activités.

Depuis deux ans, le CEMUCHCA organise déjà des programmes musicaux sur le site, mais l’édition 2024 marque la première tenue d’un camp de vacances musical dans l’ancienne prison. Cette nouvelle dynamique permettra à terme d’économiser sur les coûts de location et d’ancrer davantage les activités éducatives et artistiques dans ce lieu chargé d’histoire.

Quand musique et patrimoine se rencontrent

L’un des moments les plus marquants fut le concert de mi-session, où des trompettistes perchés sur le balcon restauré de la cour ont interprété La Péri de Paul Dukas. Quelques semaines plus tôt, ce même balcon était encore inaccessible. La scène fut à la fois symbolique et émouvante.

Spin Joseph, président du CEMUCHCA, résume la vision :

Notre rêve est de créer ici une véritable académie de musique, capable non seulement de proposer des cours, mais aussi d’offrir une formation d’excellence aux futurs musiciens haïtiens.

Le concert de clôture, dirigé par Steven Huang (membre du conseil de BLUME Haïti), a rassemblé orchestres symphoniques, d’harmonie et de jazz sur la place des Armes. Le programme comprenait notamment l'ouverture de Léonore, La musique des feux d’artifice royaux de Haendel, et La Retraite du Flambeau de Ludovic Lamothe.

Le final, une jam session classique, a vu les ensembles fusionner pour interpréter Dans Peyizan, une composition de Tchoupy Hylaris devenue virale sur Facebook (Nous vous invitons à l'écouter et à jouir de cette belle composition (1). Le violon électrique du compositeur, les percussions énergiques, les cordes virevoltantes et les pas de danse des violonistes ont électrisé le public. C’était plus qu’un concert : une célébration de la résilience, de la culture, et de l’avenir.

L’implication du Music Fund en 2025

Du 16 au 27 février 2025, une équipe de MUSIC FUND était au Cap-Haïtien pour le lancement d’une nouvelle formation en réparation de guitares. Cela faisait des années que l’association n’y avait pas organisé de mission. C’est donc au cœur de l’annexe Occide Jeanty, que le luthier et coordinateur logistique Christian Bertram a assuré le premier volet d’initiation à la réparation de guitares. Dix participants venant de dix annexes différentes du CEMUCHCA ont pris part aux ateliers organisés dans cette ancienne prison de femmes. L’espace, saisissant, est mis à disposition du CEMUCHCA par l’ISPAN (Institut pour la sauvegarde du patrimoine national) et est progressivement réhabilité par l’école avec des matériaux de récupération.

Le symbole est fort, de voir cet ancien lieu de détention et de répression vivre au rythme des ateliers, des répétitions pour la fête du Drapeau 2025 et des cours de musique pour les jeunes Capois, et ainsi se transformer en un lieu d'apprentissage accessible à la communauté. Chaque recoin de la cour centrale et de la cour extérieure accueille les cours de musique, tandis que le corps de logis abrite bureaux, dortoirs et un atelier de réparation consacré aux instruments du quatuor géré par le maître des lieux, le luthier et multi-instrumentiste Garfield Hylaris dit « Tchoupy ». Formé par Luthiers sans frontières, ce dernier nous confiait vouloir commencer à construire ses propres violons avec des bois disponibles localement.

Perspectives

La prochaine phase de la restauration prévoit la transformation d’une vingtaine de cellules en dortoirs, la réhabilitation des douches et toilettes, et la rénovation de la toiture de la cuisine, qui pourra servir de salle de répétition en cas de pluie.

Cette année, dans le cadre de la préparation du 18 mai, les diverses fanfares qui feront partie du défilé du Jour du drapeau 2025 ont pu profiter de la cour de l'ancienne prison pour leurs répétitions.



Appel à contributions : Si vous connaissez des entreprises de construction susceptibles de soutenir la rénovation de ce site historique, veuillez contacter : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Compilation Tet Ansanm pou Okpa

NOTE

* Ce compte-rendu vibrant du camp musical d’été 2024 est sinspiré du texte de David Einhorn, membre du Conseil consultatif de BLUME Haïti et enseignant bénévole de longue date en Haïti.

RÉFÉRENCES

1. Antony, Janet. . Tchoupy Hylaris. Dans Peyizan.