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Joseph René Vincent (1911-1979)

Né au Cap-Haïtien en 1911, Joseph René Vincent compte parmi les plus prolifiques peintres de la ville. Pendant longtemps l’un des deux photographes de la Cité christophienne, il est d’ailleurs le premier à y imprimer des photos en couleur.

Fils du général Nemours Auguste et de madame Octalie Vincent, René Vincent est le jeune frère du brillant avocat, André Vincent. Ceux qui l’ont connu racontent qu'on le voyait souvent rêveur, équipé d'un cahier et d'un crayon, s'arrêtant souvent pour noter ce qui lui venait à l'esprit, pour écrire, pour dessiner......

René était un homme plaisant, religieux, qui respectait et aimait les gens. Il adorait son frère ainé André et ne se remettra jamais de sa mort survenue en avril 1960 nous raconte sa nièce Edel Vincent Pierre.

Après avoir terminé ses études secondaires au Collège Notre-Dame du Cap-Haitien, René Vincent a commencé à s’adonner à ses deux grandes passions : la peinture et la photographie.

Le Nouvelliste du 28 décembre 1938 nous apprend qu’au Cap-Haïtien, une grande exposition d’art réunissant de nombreux peintres et présentant plus de 30 tableaux s’était clôturée le 17 décembre par le couronnement de 3 lauréats : César Müller a reçu le 1er prix pour l’ensemble de ses toiles, les 2e prix sont allés à Michelet Giordani, pour son tableau « Maître d’eau et à Renée Montreuil pour son œuvre, Les lavandières. Finalement, le 3e prix avait été octroyé à René Vincent pour son tableau Cabane de pécheurs».

Sous le gouvernement Lescot, bénéficiant d'une bourse d'études, il est parti pour Port-au-Prince afin de parfaire ses connaissances en peinture au Centre d’art. À cette période, c’était le seul endroit à Port-au-Prince où l’on pouvait obtenir une formation avancée en art.

Le 14 mai 1944, le Centre d'Art ouvrait sa première exposition d'art contemporain. Tamara Baussan, Gérald Bloncourt, Antoine Derenoncourt, Daniel Lafontant, Andrée Malbranche, Albert Mangones, Andrée G. Naude, Dewitt Peters, Lucien Price, Georges Remponeau, Pétion Savain, René Vincent faisaient partie des artistes exposés.

De retour au Cap-Haïtien et sur recommandation de Dewitt Peters, directeur du Centre d’Art à Louis Mercier, René Vincent a été engagé au Lycée Philippe-Guerrier d’abord comme professeur de dessin et de français à la fin des années 1940 puis de sciences. Connu sous le surnom de Sémaphore, il a enseigné pendant plus de trente ans dans cet établissement jusqu’en 1976.

Dans le même temps, René Vincent a poursuivi ses activités artistiques. Installé dans un studio au rez-de-chaussée d’une maison sur la rue 18 C-D, il y exposait ses tableaux ainsi que les photographies des gens du nord. Cet atelier-musée était situé situait en face de la boulangerie Farano. À l’étage de cet édifice, se trouvait l’école de Nésida Montreuil. Bien établi dans son atelier, il a tissé des liens de collaboration avec d’autres peintres locaux, notamment avec Jean-Baptiste Bottex (1918-1979) et Michelet Giordani.

L’œuvre de René Vincent

René Vincent dépeignait des scènes de la vie quotidienne au Cap-Haïtien mais son intérêt était grand pour l'histoire d'Haïti, ce pays qui lui était si cher. Ses sujets préférés étaient les personnages historiques, particulièrement Toussaint-Louverture qu’il a représenté sous différents angles, « à cheval et à bourik » nous a raconté avec humour un de ses anciens élèves (6). Plusieurs de ces œuvres à caractère historique, célèbraient les héros de la Guerre de l’Indépendance «Dessalines à la Crête-à-Pierrot», la «Bataille de Vertières», la Cérémonie du Bois-Caïman ou encore «Boisrond-Tonnerre rédigeant l'Acte de l'Indépendance d'Haïti »..

Boisrond Tonnerre rédigeant l'acte d'independance
  • Titre: Boisrond Tonnerre rédigeant l'acte d'independance
  • Collection: Collection Lionel J. Duvaslsaint
En Avant Vertières
  • Titre:En Avant Vertières
18 Novembre 1803 Vertières Mort De Paul Prompt
  • Titre:18 Novembre 1803 Vertières Mort De Paul Prompt
Toussaint en face de La 2e brigade
  • Titre: Toussaint en face de La 2e brigade
Cérémonie du Bois Caiman
  • Titre: Cérémonie du Bois Caiman
Départ de Toussaint Louverture pour la France
  • Titre: Départ de Toussaint Louverture pour la France
Rencontre de Dessalines et de Petion à Plaisance
  • Titre: Rencontre de Dessalines et de Petion à Plaisance
Cock Fight - Combat de Coq
  • Titre: Cock Fight - Combat de coq
Symphonie en Bleu
  • Titre: Symphonie en Bleu
  • Dimensions: 24" x 34"
Voyage en bateau
  • Titre: Voyage en bateau
La Citadelle
  • Titre: La Citadelle

Louis J Auguste dans son article sur les Arts au Cap-Haïtien nous raconte :

Presqu’à l’autre extrémité de la ville, travaillait un autre artiste peintre bien connu des Capois. M. René Vincent qui avait son atelier-musée à la Rue 18. Il ouvrait ses portes à tous. Je m’y suis arrêté à maintes reprises après des randonnées sur le boulevard et je me souviens bien d’une grande pièce représentant la «Bataille de Vertières» et que j’ai pu voir progresser, du simple tracé au crayon à l’achèvement de ce tableau magnifique. Cette scène n’était pas sans me rappeler «La Liberté » d’Eugène Delacroix. S’en était-il inspiré ? Nul ne le saura. Voulait-il donner une couleur locale au romantisme français ?» (3)

René Vincent poursuivait ainsi sa carrière de photographe et de peintre tout en donnant des cours privés de dessin et de peinture aux jeunes Capois. Tant au Lycée Philippe-Guerrier qu’au Centre d’art, il a formé toute une génération d’artistes Capois, dont des peintres de renom comme Eyma Joseph et Jacques Gabriel dit Jagal.

Jacques Gabriel dit Jagal est né en 1947 à Ouanaminthe, ville située à la frontière entre la République d'Haïti et la République Dominicaine. Il commence très jeune la peinture et le collage et fut introduit au dessin par le photographe et artiste René Vincent au Lycée Philippe-Guerrier du Cap-Haïtien de 1959 à 1962. Durant ses études classiques, il fait des recherches sur les arts, en lisant et en observant les œuvres exposées dans les galeries locales y compris celles de son professeur René Vincent et du père Obin cité Lescot. (2)

Louis J. Auguste nous rappelle encore :

…M. Vincent a formé toute une génération de jeunes artistes. Lui aussi, il avait commencé à peindre bien avant l’arrivée de Dewitt Peters. On doit cependant reconnaitre que ce dernier peut-être attira l’attention du monde sur la peinture haïtienne. Aujourd’hui, nous retrouvons les œuvres de ces deux pionniers (n.d. Philomé Obin et René Vincent) dans les plus grands musées que ce soit à New York ou à Paris…(3)

En effet, en 1944, avec l'acquisition de son tableau Le combat des coqs, René Vincent est devenu le premier peintre Haïtien à entrer dans la collection du Musée d'art moderne de NewYork (MoMA) (3), première grande institution artistique à l'étranger à reconnaître l'importance du mouvement de peinture indigéniste en Haïti. À travers une analyse approfondie des documents des archives du MoMA, on peut remettre en question le récit dominant sur le développement et l'internationalisation de l'art haïtien dans les années 1940.

Lorsque cette peinture a été montrée dans l'exposition «The Art of the United Nations» à l'Art Institute of Chicago en 1944-1945, (4) le texte d'accompagnement sur l'art haïtien qualifiait ainsi René Vincent : « un primitif qui peint des scènes charmantes de la vie haïtienne », dans le contexte du « … développement graduel d'une école de peinture véritablement individuelle et indigène dont René Vincent était l’un de membres les plus prometteurs. »

L’année d’après, en 1945, René Vincent s’est associé à la mise en place de l’annexe capoise du Centre d’art ou l’organisation de pôles de création autour d’artistes connus ou expérimentés (5). Conduite par Philomé Obin, pas moins de quinze peintres de la famille Obin en sont issus et de nombreux artistes talentueux dont Sénèque Obin, le frère de Philomé ainsi que les frères Bottex s’y sont formés. C’est ainsi qu’est né ce qu’on a par la suite baptisé « L’École du Cap ».

En 1946, ses œuvres ont été aussi remarquées à l’Exposition internationale d'Art Moderne organisée par l'UNESCO à Paris en novembre de cette année, aux côtés de vingt-cinq autres artistes haïtiens.

Artiste aux multiples talents, René Vincent a par ailleurs publié trois recueils de poésie. Plusieurs se rappellent avec humour ce vers où il parlait des femmes en disant : Elles m'ont tellement malmené que j'ai perdu tous mes cheveux ». .

Le poète John Nelson «Saint-John Kauss» évoque la mémoire de Vincent, le poète :

Car mon premier et grand ami-poète que fut René Vincent, du Cap-Haïtien, m’aura porté et aidé à comprendre le mot «Poésie`», tout en m’exhortant à «fuir» la politique des hommes, y compris celle des écrivains. Une telle démarche, de si grande envergure, pour un garçon de quinze à seize ans, me donna froid au dos, et jusqu’à aujourd’hui j’en porte les séquelles. Ce René Vincent, méconnu à tort, était aussi photographe et jongleur d’une poésie minimaliste (5).

Hormis ses activités artistiques et son rôle de professeur, René Vincent s’est aussi engagé dans la vie de la cité. Du 1er au 3 mai 1953, nous le retrouvons comme conseiller auprès du Comité d’organisation de l’exposition agricole et industrielle qui s’est déroulée, dans le cadre de la Fête de l’agriculture et du travail.

René Vincent s’est éteint au Cap-Haïtien, dans les derniers jours de juin 1979

Il a légué à sa famille sa collection personnelle composée de plus 15 tableaux historiques de très grande valeur. Il rêvait cependant d’offrir ces œuvres à la ville du Cap-Haïtien pour un musée national. Pour le moment, les œuvres historiques sont au Collège Notre-Dame du Cap-Haïtien auquel sa nièce Edel Vincent Pierre, sa légatrice, en a confié la garde. (6)

Source: À partir des propos recueillis par Tet Ansanm pou Okap

Références

(1) MERCIER Louis. Lycée national Philippe-Guerrier, directeur : correspondances, recommandation de PETERS DeWitt pour René Vincent dans https://docplayer.fr/153392547-Les-archives-du-centre-d-art-de-port-au-prince-haiti.html, p. 85.

(2) Nadal, Marie-José and Gérald Bloncourt. 1986. La Peinture Haïtienne, Haitian Arts. Paris: Editions Nathan. In Jacques Gabriel (Jagal) http://haiti.spla.pro/fr/fiche.personne.jacques-gabriel-jagal.38640.html

(3) Louis J. Auguste. Les arts au Cap-Haïtien. Dans https://villeducaphaitien.com/art-et-culture/arts-visuels/25-arts-visuels/216-les-arts-au-cap-ha%C3%AFtien-louis-j-auguste,-md,-mph

(4) Notes from the Archive: MoMA and the Internationalization of Haitian Painting, 1942-1948, Marta Dansie and Abigail Lapin Dardashti, January 3, 2018. https://post.moma.org/notes-from-the-archive-moma-and-the-internationalization-of-haitian-painting-1942-1948/

(5) Art Institute of Chicago. The Art of the United Nations, November 16, 1944- January 1st, 1945, Catalog, p.29. dans https://www.artic.edu/exhibitions/8566/art-of-the-united-nations.

(6) Propos recueillis auprès de la nièce de l’artiste, madame Edel Vincent Pierre et du Docteur Renaud Hyppolite.

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