Le Vertières des peintres (Collectif Tet Ansanm pou Okap)
Vertières, c’est la victoire du sacrifice suprême des va-nu-pieds haïtiens tombés au champ d’honneur pour nous donner une patrie, nous dit Leslie F. Manigat. (1)
Le mot Vertières n'est pourtant entré dans le dictionnaire français pour une certaine reconnaissance dans l’histoire universelle, qu'il y a moins de 10 ans…
Le 18 novembre 1803, date de la Bataille de Vertières, est cependant une date cruciale pour l'histoire de l’humanité. C’est le jour où les Noirs de Saint-Domingue, anciens esclaves, ont donné l’opportunité à tout être humain de devenir citoyen. Ce jour-là, ces forces indigènes menées par Jean-Jacques Dessalines, fortes de 27000 hommes mal équipés, mais déterminés, ont défait 47000 expéditionnaires de la plus puissante armée de l’époque, celle de Napoléon Bonaparte. Après cette défaite, dix jours ont été donnés à Rochambeau, le chef des forces françaises, pour embarquer les restes de son armée et quitter Saint-Domingue.
Saint-Domingue déclarait son indépendance et Haïti naissait le 1er janvier 1804.
La Bataille de Vertières : un périple visuel
Cette bataille, si importante pour notre histoire, est depuis toujours, une puissante source d’inspiration pour de nombreux artistes. En souvenir de ce moment décisif dans la conquête de l’Indépendance d’Haïti, nous en avons retenu quelques-unes des oeuvres qui rendent hommage à la Bataille de Vertières et aux héros qui s’y sont illustrés. Nous vous invitons à découvrir ou à revoir tant ces artistes que leurs oeuvres.
Nous commencerons notre retour sur l'histoire en images de la Bataille par les œuvres de Jean-Baptiste Jean.
Jean-Baptiste Jean est né au Cap-Haïtien en 1953. Il est décédé en 2002. Il a été initié à la peinture à partir de 1971 dans l'atelier du grand maître de l'École du Nord, Philomé Obin. Il a été aussi un ancien élève du Centre d’art à partir de 1973. Connu pour ses illustrations précises de la vie courante et des occasions spéciales au Cap-Haïtien, Jean-Baptiste Jean a illustré dans ses oeuvres des moments importants de l’histoire haïtienne, notamment ceux qui se déroulaient dans le Nord. Il a fait de la Bataille de Vertières, un de ses sujets de prédilection.
Pour notre périple en images, nous avons retenu deux de ses œuvres : Réunion avec Dessalines pour préparer la Bataille du 18 novembre 1803 et Le dernier combat.
Jean-Baptiste Jean, Réunion avec Dessalines pour préparer la Bataille du 18 novembre 1803
L’artiste y représente, entre autres, Christophe, Capois-La-Mort, Gérin, Marie-Jeanne, Gabart et Vernet se rendant chez Dessalines pour décider de la stratégie pour la bataille du 18 novembre 1803.
Dans sa deuxième œuvre, Le dernier combat, Capois-La_Mort en est le héros. À la tête des forces indigènes, il conduit son armée à l’assaut des positions occupées par l’armée française.
Jean-Baptiste Jean, Le dernier combat, huile s/toile, 1991
Nous poursuivons avec la Bataille de Vertières, grande fresque réalisée en 1995 par Ulrick Jean-Pierre.
Quelques mots sur Ulrick Jean-Pierre pour commencer.Ulrick Jean-Pierre est né en 1955 à Roseaux. Il a commencé à dessiner à 4 ans et à peindre à 16 ans. Il reçut sa formation auprès des maîtres haïtiens au Foyer des Arts Plastiques de Port-au-Prince, où il est inspiré par des artistes tels que Louverture Poisson, Rosemarie Desruisseaux, René et Lavorancy Exumé, Enguerrand Gourgue et Archibald Lochard.
Bataille de Vertières II. huile sur toile, 48” x 60”, 1995. Collection Dr. and Mrs. Michel-Joseph Lemaire.
Découvrons maintenant la bataille, telle que dépeinte par Garry Dorsainvil.
D'abord quelques précisions sur Garry Dorsainvil. Garry Dorsainvil (il signe aussi ses oeuvres «Gary Dorsinvil») est né au Cap-Haïtien. Il a été l’élève de Jean-Baptiste Jean dont vous venons de vous présenter deux œuvres. Cet artiste est surtout connu pour son utilisation des couleurs pastel dans la représentation des scènes de la vie quotidienne capoise et de grands moments historiques. Son œuvre, Bataille de Vertières en est un très bel exemple.
Garry Dorsainvil, La bataille de Vertières, Huile sur toile, 20x30 pouces, Collection du Centre d'Art
Nous continuons notre découverte avec deux représentations de la bataille signées par Gervais Emmanuel Ducasse, né à Port-au-Prince en décembre 1903 et mort en 1988.
Ses deux oeuvres que nous vous présentons placent le Général François Capois, dit Capois-La-Mort, au premier plan, haranguant les troupes, au cri de En avant, en avant, même après avoir perdu son cheval.
Gervais-Emmanuel Ducasse, Bataille de Vertières I, huile sur Masonite, 24 x 16 pouces.
Gervais-Emmanuel Ducasse, Bataille de Vertières II, huile sur Masonite.
La prochaine œuvre que nous avons retenue est celle d’un artiste issu de la célèbre famille de peintres du Cap-Haïtien. Il s’agit d’une œuvre de Sénèque Obin, qui lui aussi a choisi de placer le Général Capois-La-Mort au centre de son interprétation de la bataille de Vertières.
Sénèque Obin est né à Limbé en 1893 et décédé en 1977 au Cap-Haïtien. Il était le frère cadet de Philomé Obin, qui l'a guidé et influencé dans sa carrière de peintre.
Il rend ici hommage au grand héros de Vertières, Capois-La-Mort.
Sénèque Obin, Capois-La-Mort à Vertières, Huile sur Masonite, 16x20 pouces.
Capois-La-Mort est aussi la figure dominante dans l’œuvre de Jacques-Richard Chéry, La Bataille de Vertières.
Jacques-Richard Chéry, né au Cap-Haïtien, en 1928, commence à peindre tout en exerçant le métier de coiffeur. Devant la réception enthousiaste de ses œuvres et sous les conseils de son ami Philomé Obin, il s’installe à Port-au-Prince en 1951. Il travaillera avec la Galerie Issa, à partir de 1965 et ce, pendant plusieurs années.
Sa Bataille de Vertières est un bel exemple de l’École du Nord, reconnue pour la représentation détaillée de scènes historiques.
Jacques-Richard Chéry, Bataille de Vertières Huile sur Masonite. Don de la Collection of James S. Huffman, Figge Art Museum, 2016.
Cette œuvre fait partie de l’exposition actuellement en cours au Figge Art Museum intitulée : Haitian Masterworks, November 7, 2020 - January 24, 2021, à Davenport, en Iowa. Ce Musée possède une des plus importantes collections d’art haïtien aux États-Unis.
Nous terminerons ce périple par cette représentation abstraite de Vertières signée Franck Louissaint.
Franck LOUISSAINT est né à Aquin, le 22 octobre 1949. En 1967, il prend un cours d’art par correspondance à l’école ABC de Paris qu’il interrompt rapidement réalisant que la véritable école était l’observation de la nature à ses yeux.
Doué d’une grande sensibilité et d’une volonté de dépassement dans la représentation mentale, Franck LOUISSAINT se présente au Centre d’Art de Port-au-Prince en 1969 comme étudiant en peinture et dessin, apprenant la composition et l’utilisation de la couleur aux cotés des artistes Antonio Joseph et Price Lucien. Dix ans plus tard, c’est lui qui enseigne au Centre d’Art. Franck LOUISSAINT est également l’un des plus anciens professeurs à l’École Nationale des Arts (ENARTS), où il enseigne depuis 1983 et au GOC (Faculté de génie et d’architecture).
À ses débuts, Franck LOUISSAINT peignait dans un style dit « primitif ». Vu son amour du dessin et son goût pour l’observation, petit à petit, son travail prit une tendance réaliste voire hyperréaliste, ce qui lui valut une réputation internationale. Il est considéré comme le père de la peinture réaliste haïtienne.
Ce tableau représentant la Bataille de Vertières est une pièce qui n’a rien à voir avec les autres tableaux de Louissaint généralement hyperrealistes. Le collectionneur, à qui appartient ce tableau, nous a raconté une anecdote sur la genèse de cette oeuvre. L’artiste lui aurait expliqué qu’il essuyait ses pinceaux sur un bout d’isorel... mais, un jour en le regardant bien, il y a vu le tumulte et la bataille...Alors, il l’a placé sur son chevalet et y a travaillé toute une nuit...et, au petit matin...il avait donné naissance à ce chef-d’oeuvre impressionniste et abstrait qu’il a baptisé «Bataille de Vertières».
Franck Louissaint, La Bataille de Vertières, acrylique sur isorel, 8x16 pouces. Collection Lionel Duvalsaint
La signification de cette bataille est profonde. Elle a scellé le départ des troupes françaises et l'indépendance qui sera proclamée le 1er janvier 1804 par l'Acte de l'Indépendance de la République d'Haïti lu par Dessalines aux Gonaïves. Haïti devint alors la première république noire au monde.
Source : Collectif Tet Ansanm pou Okap, novembre 2020.Références :
1. Leslie F. Manigat, Vertières dans notre mémoire collective : un aboutissement final, une ouverture de brèche, dans Africultures, novembre 2004.