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L'indigénisme haïtien : des artistes du mouvement (Gérald Alexis)

L’indigénisme haïtien : Des artistes du mouvement

Pour le situer dans le temps, disons que le mouvement indigéniste en peinture a pris naissance lors de la rencontre en 1931 de Pétion Savain (1906-1975) et de Georges Remponeau (1916- 2012). Les deux artistes assistaient au vernissage du peintre américain William Scott qui fut, en quelque sorte, l’étincelle qui a embrasé ce mouvement. Les peintres qui se sont joints à eux étaient tous et toutes plus ou moins de la même génération. Ils étaient du même milieu social, de ce que l’on appelle en Haïti la «bourgeoisie».

Ils avaient tous et toutes une certaine formation reçue dans des établissements scolaires, dans le milieu familial, par des cours privés ou par correspondance. Ils partageaient un même objectif sur le plan esthétique qui, compte tenu de ce moment de notre histoire, pouvait être vu comme un manifeste, emblème du monde artistique moderne. Cela se justifiait par une volonté du groupe de définir une identité haïtienne et aussi par leur statut d’opposant à l’individu collectif qui s’appelait «l’occupant».

Ils avaient des tempéraments différents et surtout vivaient des circonstances différentes, ce qui explique, en grande partie, le fait que leurs carrières se soient développées différemment. Le mouvement s’est vite répandu dans les villes de province et a été rejoint par des artistes de conditions sociales plus modestes. Le mouvement indigéniste a donc rassemblé plus d’artistes que l’histoire n’en a retenus.

On peut supposer que l’histoire n’a pas voulu tenir compte de ceux et celles qui étaient considérés comme des amateurs. À titre d’exemple, Michel-Philippe Lerebours nous dit qu’à Jacmel, Hector Ambroise (1904-1962) avait créé la Société des Trois Arts. Le Nouvelliste du 28 décembre 1938 nous apprend qu’au Cap-Haïtien, une grande exposition d’art réunissait à côté des œuvres de Renée Montreuil dont on a peu parlé par la suite, celles de René Vincent et de César Müller.

Notons que ces derniers ont participé à l’exposition inaugurale du Centre d’Art. Toujours selon Lerebours, Michelet Giordani avait rassemblé autour de lui un certain nombre d’artistes du Nord, parmi lesquels Jean-Baptiste Bottex (1918-1979) qui a fait une carrière produisant des aquarelles de qualité. Dans ses œuvres inspirées pour la plupart par la vie quotidienne, on peut voir en dessous des couleurs un dessin précis et une parfaite maîtrise des proportions et de l’espace. Sa «Cérémonie vodou» de 1947, photographiée au Centre d’art en 1954, illustre bien ces qualités. Il est important de noter qu’avant l’inauguration du Centre d’Art, plusieurs artistes du mouvement indigéniste eurent l’opportunité de partager leur savoir avec de plus jeunes dans le cadre d’écoles publiques du pays.

On sait qu’en 1941, Antoine Derenoncourt avait des élèves qui fréquentaient son atelier à Port-au Prince en même temps qu’il dispensait des cours à l’École centrale des arts et métiers. On sait aussi qu’en 1941 Georges Remponeau dispensait des cours de dessin à l’École technique J.B. Damier, et qu’en 1942, Antoine Ambroise enseignait au lycée Pinchinat de Jacmel. Il serait intéressant de prendre le temps de chercher à savoir si ces enseignements ont porté des fruits.

Ralliées au mouvement ou en marge de celui-ci, on note qu’il y avait aussi des femmes qui ont marqué nettement leur préférence pour des sujets haïtiens. Parmi elles, il y avait Yvonne Sylvain (1907-1989) qui fut une élève du sculpteur Normil Charles.

En 1932, commentant la première exposition de cette jeune artiste qui présentait des peintures à l’huile et des dessins, Philippe Thoby-Marcelin l'a qualifiée de prometteuse. Elle avait, dit-il, de bonnes dispositions pour le portrait et laissait voir une nette influence de Pétion Savain dont elle fréquentait l’atelier. Heureusement pour le monde de la santé, Yvonne Sylvain a abandonné l’art pour devenir la première femme médecin d’Haïti. Elle est quand même restée très proche des artistes, particulièrement ceux qu’on a dit primitifs comme Castera Bazile et Wilson Bigaud.

Il y avait aussi Germaine Chenet, née Cassagnol (1893-1983), épouse, mère et aussi dame patronnesse. Malgré ses multiples occupations, elle a su trouver du temps à consacrer à son art. À côté de ses peintures à caractère religieux, elle a entrepris, partageant les idées indigénistes du moment, une production de tableaux avec un contenu social évident qui s’explique par sa grande dévotion à la cause des pauvres.

Au travers de certaines hésitations, on ne peut s’empêcher de noter cette touche quelquefois vigoureuse, une composition rigoureuse et un souci de la lumière. Dans sa peinture, elle évacuait toute narration, toute représentation humaine qui pourrait émouvoir au premier degré. On ne peut cependant pas rester indifférent à ce que suggère une œuvre comme cette «Cahutte au bord de la mer». La texture de la peinture sur l’abri de fortune, contraste fortement avec l'application étalée des couleurs subtiles du fond.

Il y avait aussi Andrée Malbranche (1920- ?) dont nous avons parlé antérieurement (voir : Le Nouvelliste, 1er décembre 2015). Il est malheureux qu’elle ait été contrainte de mettre fin à sa carrière artistique à cause de la maladie. Plus jeune, il y avait Hilda Canez, devenue Madame Auguste et qui, dans ses activités philanthropiques, a eu l’heureuse initiative de créer, à partir des ruines du site Chateaublond, le Parc Historique de la Canne à sucre.

Gérald Alexis
Publié le 2016-11-08 | Le Nouvelliste . L’indigénisme haïtien : Des artistes du mouvement (III)

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