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Renaud Hyppolite

Henry Christophe

Il vaut la peine de vous présenter ce personnage presque mythique que fut Henry Christophe. Certains d’entre vous ont peut-être en tête le film Royal Bonbon du réalisateur Charles Najman, qui eut l’honneur au printemps dernier d’ouvrir les dix neuvièmes Journées du cinéma africain et créole à Montréal.

Tournage de Rose Bonbon, Milot, 2002
Tournage de Rose Bonbon, Milot, 2002
Henry Christophe, Roi d'Haitï
Henry Christophe, Roi d'Haitï

Poème cinématographique plus qu’un film historique, cette réalisation où notre compatriote Dominique Batraville tenait avec brio le premier rôle, par son côté à la fois Don Quichotte et en même temps d’un mysticisme pseudo historique, pour les non-initiés, pourrait faire passer le Roi Christophe pour un illuminé, tenant à la fois du personnage faustien et du zombi, comme l’écrivait dans La Presse le critique Luc Perrault. Mais le vrai personnage est tout autre, à la fois visionnaire, bâtisseur de nation et meneur d’hommes.

Contrairement à Toussaint Louverture et à Dessalines, Christophe n’a jamais connu les affres de l’esclavage. Né libre à La Grenade en 1767, comme il était un garçon indomptable, à l’âge de cinq ans, son père le confie, pour le dompter, à un de ses amis, capitaine d’un navire caboteur français. On ne sait trop pourquoi ni comment, il fut abandonné, au Cap-Français, à un certain monsieur Badêche, propriétaire d’une sucrerie à la Petite-Anse, en banlieue du Cap. Ce Badêche, en société avec une certaine demoiselle Monjean, exploitait aussi un hôtel à l’enseigne « La Couronne » au Cap, à la rue Espagnole entre les rues 6 et 7, (rue des Trois visages et du Chantier). L’histoire raconte que, plus tard, Christophe achètera et exploitera cet hôtel.

En 1777, après la conquête de la Grenade et de Saint-Vincent, le comte d’Estaing arrive au Cap-Français pour enrôler des affranchis qu’il menait combattre contre l’Angleterre aux côtés de Lafayette et de Georges Washington, pour la guerre de l’Indépendance américaine. En 1779, Christophe, âgé alors de seulement 12 ans, s’y enrôla avec quelques 800 autres noirs et mulâtres affranchis. En 1789, au moment de la Révolution française, il entre dans un régiment d’artillerie colonial comme premier canonnier. En 1793, il est capitaine d’infanterie. Par la suite, il s’établit au Cap-Français comme commerçant. Cette même année, il épouse Marie Louise Coidavid, la future reine. On le retrouve en 1797, commandant de la Petite-Anse. Au début de l’année 1800, il avait déjà donné la pleine mesure de ses talents, non seulement comme stratège mais aussi comme administrateur et surtout comme un vrai chef. On le disait volontaire, irascible, mais d’une droiture et d’une honnêteté exemplaires. C’est peut-être ce côté rebelle et volontaire de son caractère qui lui vaudra les restrictions constitutionnelles inacceptables pour un homme de sa trempe ce qui explique sa violente réaction qui conduira à la création, le 17 Février 1807, de l’état indépendant du Nord. Cet État deviendra Royaume du nord sur lequel Christophe régnera, sous le nom d’Henri 1er, de 1811 à 1820.

Dès son arrivée au gouvernement, outre l’organisation politique, sociale et économique du nouvel état, Christophe était confronté à la tâche immense de reconstruire la ville qui était à toutes fins pratiques, presque entièrement détruite. Il va s’atteler avec fougue et détermination à cette tâche titanesque à plus d’un titre, puisqu’il fallait non seulement convaincre cette masse d’anciens esclaves, hier encore dans les chaînes, que le travail n’était pas synonyme d’esclavage, mais de plus, il devait les transformer du jour au lendemain en maçons, arpenteurs, ébénistes, charpentiers, menuisiers, et j’en passe. Autrement dit, tout comme l’autre, il devait créer à partir du néant; mais ça lui prendra bien plus que sept jours et il n’aura pas de temps pour se reposer.

Je tempère quand même mon propos pour reconnaître que parmi la population, il y avait des affranchis de longue date, noirs et mulâtres qui avaient reçu une certaine éducation. Ils n’étaient pas nombreux certes, mais bien dirigés par Henry Christophe, ils constituaient un noyau autour duquel on pouvait commencer à bâtir l’avenir. Parmi les esclaves, plusieurs durant l’esclavage avaient des tâches plus ou moins spécialisées : des maçons, des cochers, des mécaniciens, des menuisiers, etc. Puisqu’il en fallait pour entretenir l’infrastructure coloniale. Moreau de St Méry nous rapporte que lors de la construction de la Place de La Fossette, comme on avait prévu ériger des arches sur les côtés, une commande de pierres taillées avait été faite aux esclaves spécialisés en taille de pierre qui se trouvaient au Môle St-Nicolas. De toute façon, partant du principe, Faber Fabricando, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, la reconstruction de la ville, l’édification du Palais Sans Souci et surtout celle de la Citadelle allaient fournir un champ de pratique extraordinaire.

Christophe s’attela d’abord à la restauration et à la récupération des anciennes structures coloniales. Maison des gouverneurs, les greffes, l’arsenal, l’hôpital alors aux environs de La Fossette, renforcement des forts et des remparts, reconstruction des maisons etc. Quand la royauté sera établie, il érigera autour de la Place d’Armes tous les bâtiments de l’appareil gouvernemental. Son palais, édifice à étages entourés de balcons, occupera tout le quadrilatère bordé à l’est par la Place-d’Armes, au nord et au sud par les rues 18 et 19, à l’ouest par la rue J. Une tour d’observation occupait l’emplacement de l’ancien Union-Club. Cette tour était reliée au palais par une passerelle aérienne qui enjambait la rue 18. À l’emplacement de l’actuel archevêché se trouvait l’État-Major, les ministères des Finances, de la Guerre, du Commerce etc. L’ancienne Maison des gouverneurs était affectée en partie aux écuries royales et à la garnison (devenue par la suite, l’École des Frères de l’instruction chrétienne- la plupart d’entre nous ont eu leur classe primaire à la place des anciennes écuries royales). Cela n’a pas fait de nous pour autant des têtes d’âne!

Du règne de Christophe, l’histoire retiendra trois faits marquants :

  • la construction du Palais Sans Souci qui allait entraîner le déplacement de la capitale administrative du Cap vers Milot, situé à 18 km au sud-est;
  • l’édification de l’œuvre titanesque qu’est la Citadelle Laferrière
  • le plus important, la publication et la mise en œuvre du Code Henry.

Milot n’existait pas du temps de la colonie. Sans-Souci est une création de Christophe, rendue nécessaire pour suivre les travaux d’érection de la Citadelle. Le roi y séjournait plus souvent qu’au Cap. Il y a diverses hypothèses concernant l’origine de ce palais dont le nom viendrait d’un ancien chef de garnison de l’armée de Christophe pendant la guerre d’indépendance un certain Jean-Baptiste Sans Souci. Mais la thèse la plus plausible est qu’il aurait été inspiré par le palais du même nom édifié à Postdam par Frédéric Le Grand.

Tournage de Rose Bonbon, Milot, 2002

En voici quelques images qu’on peut facilement rapprocher de l’édifice de Christophe ou du moins ce qui en reste. Le tableau de Numa Desroches, fils adoptif de Christophe, élevé au palais où il étudia la peinture à l’académie royale, est le seul témoignage de la munificence de Sans Souci du vivant du roi Christophe. À part, le corps principal du palais, on voit à droite le fameux Caïmitier, qui existe encore et où la légende veut que Christophe y rende justice. Le palais des nobles et des ministres. Au fond, les appartements de la reine et en bas à gauche la chapelle royale encore en service de nos jours (1).

De la Citadelle, je ne vous dirai que l’essentiel, puisqu’il faudrait y consacrer toute la conférence. On a beaucoup reproché à Christophe d’avoir entrepris cette œuvre gigantesque. Beaucoup de mythes et de légendes entourent la construction de cette œuvre surhumaine. Mais on oublie trop souvent que ce qui a présidé à l’édification de ce rêve de pierre, ce fut, avant tout, la détermination farouche de Christophe d’empêcher un retour offensif des Français et il n’avait pas tort, puisque après la vente de la Louisiane aux Américains en 1803, la voie était libre pour Napoléon de tenter un retour en Haïti. La construction dura 7 ans et n’était pas tout à fait complétée à la mort du roi en 1820.

La Citadelle est située au sud du palais au haut de la montagne dite Bonnet-à-l’évêque à une altitude de 2,800 pieds. La principale batterie, dite batterie Coidavid, du nom de la reine Marie-Louise, occupait la proue qui mesure 130 pieds de haut. Elle comprenait 200 canons. La grande majorité avait été enlevée aux différentes armées anglaises, espagnoles et françaises. On peut y voir des canons aux armes de Louis XIV. Cette forteresse qui comprenait arsenal, hôpital, magasin, une pleine autonomie en provision d’eau fournie par un puits encore en activité, pouvait contenir une armée de quelques milliers d’hommes et soutenir un siège de plus de 3 à 4 mois. En plus, elle était entourée de redoutes dont le Fort-des-Ramiers laisse encore voir quelques vestiges. Dans les années 1990, avec l’appui de l’Unesco, la Citadelle a été entièrement restaurée par des ingénieurs, des historiens et des techniciens haïtiens. Elle fait maintenant partie, avec le Palais Sans-Souci, du patrimoine mondial de l’Unesco.

Le Code Henry

Le code Henri, qui était en fait la constitution du royaume, réglait dans les moindres détails toute l’activité politique, administrative, économique, sociale et culturelle du Royaume. Ce code réglait aussi le protocole d’attribution des titres de noblesse et précisait les devoirs des nobles vis-à vis le reste de la population.

De ce code très élaboré, nous voulons retenir en particulier les lois ayant trait à l’instruction publique. À cette époque, il n’y avait pas de ministère attaché à l’éducation mais mieux, une chambre royale de l’instruction publique qui devait faire rapport directement au roi. Cette chambre comprenait une commission de 15 membres (ducs, comtes, barons les plus capables et les plus dévoués). Le rôle de la commission était de dresser les programmes d’enseignement et le choix des livres classiques. Trois inspecteurs surveillaient chaque établissement scolaire et un membre de la commission allait contrôler le travail des inspecteurs. Un exposé semestriel était adressé au roi par la chambre sur l’état de l’instruction publique. Il y eut un collège royal ou on enseignait l’anglais, le latin, le français, l’histoire, la géographie et les mathématiques. On y donnait aussi des cours de chimie, de physique et de mécanique. Une chaire de médecine et d’anatomie était installée au Cap. D’après ce que rapporte le Baron de Vastey, un des commissaires, on y enseignait, entre autres, l’hygiène, la médecine clinique et la chirurgie.

Il y avait des écoles particulières de jeunes filles dont une était dirigée par une certaine Mme J. Courjol. Un atelier de couture existait au sein même du palais Sans-Souci qui abritait aussi l’Académie royale de musique et de peinture. À part les corps de musique militaire, il existait un corps de musique philharmonique, la philharmonique royale qui animait les concerts et les bals de la cour. On y retrouvait comme chef d’orchestre un nommé Jean-Baptiste Lapommeraie. Au violon, Jean Célestin, à la clarinette. Jean-Louis Rosin, au cor, Jean-Baptiste Louisor, au basson, Pierre Piraguenaud, à la trompette, Antoine Durand, à la timbale, François Pierre-Louis.

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Il est rapporté qu’obligation était faite aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école dès l’âge de 5-6 ans sous peine de fortes amendes ou de prison en cas de récidive. Dans son livre Black Majesty, l’écrivain américain Vandercook raconte que lors d’une visite à Sans Souci, l’amiral anglais Sir Home Propalm, commandant de la station navale de la Jamaïque, faisait remarquer à Christophe qu’il trouvait trop dures les conditions de travail dans le Nord comparées au laisser-aller qui prévalait dans l’ouest et à Port-au-Prince. Christophe répondit : « Ma vie durant, soyez en sûr, je travaillerai pour bâtir l’orgueil de mon peuple, et je le bâtirai de telle manière qu’il sera compréhensible aux blancs et aux noirs. Je pense à l’avenir, monsieur, non au présent. J’apprendrai l’orgueil à mon peuple, dussé-je, pour cela lui briser les reins au travail. »

Cette phrase explicite toute la vision Christophienne. C’est la vision d’une nation se forgeant par le travail opiniâtre et créateur. Et au bout, la naissance d’un homme nouveau qui assumerait pleinement sa double identité de Noir et d’Haïtien. p class="uk-text-justify">La mort de Christophe qui se suicide en se tirant une balle en or dans la tête , se sentant trahi par son armée et diminué à la suite d’une crise d’apoplexie , ne lui a pas permis d’achever son œuvre de bâtisseur de pays et d’homme. Mais les onze années de gouvernement et les grandes réalisations de son règne ont suffi pour engendrer cette entité unique et incontournable : L’homme du Nord envié mais recherché, vilipendé mais admiré puisqu’il constituera aux heures sombres qu’allait vivre le pays, la valeur sûre, le point d’attache des vertus capables d’assurer la pérennité de notre dignité de peuple. À la suite du décès de Christophe, le pays est réunifié sous la présidence de Boyer. La femme de Christophe et ses deux filles partent pour l’Europe. La reine Marie-Louise vivra en Italie où, très pieuse de nature, elle viendra en aide à des organisations religieuses. Ses restes ainsi que ceux de ses deux filles reposent encore dans une chapelle à Pise. (2)

Il existait deux théâtres au Cap. Au palais, les représentations se donnaient dans la grande salle. L’Almanach royal était publié sur une base régulière. Mais je ne voudrais pas passer sous silence certaines règles qui régissaient le domaine de l’agriculture. Contrairement à ce qui se passait dans l’ouest et à Port-au-Prince, il n’y avait pas de morcellement des terres dans le Nord. C’étaient des grandes propriétés, possession de l’État, données en affermage à des officiers de hauts rangs et à des nobles qui avaient, entre autres, obligation d’avoir un hôpital ou un dispensaire sur leur habitation. Le tiers des récoltes revenait à l’État qui en faisait une répartition équitable à la population. Les cultivateurs étaient bien rémunérés mais astreints à des horaires stricts de travaux des champs et l’absentéisme devait être justifié. Les fonctionnaires étaient astreints aux règles les plus sévères d’efficacité et d’honnêteté. Les dérogations étaient punies de peines de prison ou de condamnation à mort suivant la gravité de l’offense.

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