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Vertières, la voix des poètes : cinq poèmes choisis (Tet Ansanm pou Okap)

Le 18 novembre 2022 marque la 219e année depuis la désormais célèbre bataille qui oppose les troupes françaises commandées par le général de Rochambeau à celles du général Jean-Jacques Dessalines. C’est en ce lieu que l’armée indigène a livré cette dernière bataille qui allait aboutir à l’indépendance. Une bataille décisive qui a enfanté la première République noire.

Le 18 novembre 1803 symbolise le questionnement radical du système colonial esclavagiste et capitaliste qui a donné lieu à une nation haïtienne indépendante et souveraine.

La bataille de Vertières représente un changement de paradigme très important. Le 18 novembre 1803, quelque chose s’est fissuré : l’équation entre la peau noire et la condition esclavagiste. Cette équation est fissurée de manière radicale. Je crois qu’à Vertières quelque chose tremble, ce sont les assises du monde moderne. Et les assises du monde moderne, c’est la rencontre du capitalisme, de la race et de l’esclavage. À Vertières, cette union du capitalisme, de la race et de l’esclavage s’effondre .

Il est de coutume, dans notre littérature, qu'un même thème ou sujet traverse les différents genres littéraires que pratiquent nos gens de lettres (c'est-à-dire la poésie, le théâtre, la nouvelle et le roman). Cela se justifie pleinement à travers nos premiers écrits où poètes, dramaturges, romanciers se sont tous inspirés de l'ensemble des luttes engagées par nos héros dans leur quête de l'indépendance de la nation. La bataille de Vertières compte parmi les épisodes cruciaux de cette vaste guerre dénommée « épopée nationale ».

Et c’est pour chanter l’héroïsme, la bravoure, la prouesse de ces hommes et de ces femmes que plusieurs poètes nous ont légué ces œuvres que nous vous présentons.

Vertières (Massillon Coicou, 1892)

Ils sont là les héros de l’Adige et du Rhin,
Ils ont environné de leurs canons d’airain
Bréda, Pierre-Michel, et Champin et Vertières :
Et ces mornets flanqués de bouches meurtrières,
Ces forts improvisés, les voilà condamnés
À réduire au néant tous ces noirs obstinés.

Mais qu’importe, l’armée indigène est campée,
Se flattant de franchir, d’une seule enjambée,
Des entraves sans nombre, et d’aller, sans retard,
Jusqu’aux portes du Cap planter son étendard !
Vertières, lui surtout, Vertières est là qui gêne
Ce merveilleux élan de l’armée indigène.

….

Au plus fort de l’assaut, dans l’ardente fournaise,
À la voix des Français lançant la Marseillaise

Répond la voix des noirs. Ils chantent, eux aussi.
Ils chantent sous les coups qui pleuvent sans merci :
« En avant, grenadiers ! tant pis pour ceux qui meurent ;
« Nul de nous n’a de père ou de mère qui pleurent.
« En avant, grenadiers … ! » Et frayant des sentiers
Qu’ils franchissent quand même ils vont, ces grenadiers !
Ils vont, ayant la foi qui brise les entraves ;
Pour vaincre, ou pour mourir, ils vont, calmes et graves,
Et dédaignant la mort qui passe sur leurs fronts,
Comme si, de sa main, Dieu fit ces forgerons !…
Spectacle merveilleux, imposant, grandiose !

Comme à leur idéal vont les âmes altières…
Or, malgré leurs efforts sentant crouler Vertières
La nuit, devant le noir au courage d’airain,
Avaient fui les héros de l’Adige et du Rhin.

Vertières (Guy Cayemite, 2013)

Qu'est devenu Vertières
au temps qui passe
quand nous étions fiers...
Perdu dans le temps hélas!

Qu'est devenu ce sang
versé pour la liberté,
dans un égout béant
de dégoût coulé...

Et qu'est devenu le héro,
dans un coin il pleure
ses fils mendiant au cachot
sans dignité au coeur..

Qu'est devenu Vertières,
il ne fait plus de sens,
enterré dans une bière
sans prière au silence...

Les vraies histoires
ne sont pas écrites,
elles sont plutôt inscrites
dans le sang et la gloire
de ceux qui sont tombés...
Souvent elles sont dérobées
pour servir un certain profit...
Un livre seul suffit
pour en diriger le sens
et dissoudre son essence...

Méfiez-vous des épopées,
mensonges, déguisés en vérités
qui manipulent les droits
à l'insu de tous, d'un tour adroit...

Hommage à Vertières (Fernande Gilbert, 2013)

Oh Vertières !
Oh ! place exceptionnelle!
Fierté de nos aïeux, nos sentinelles!
Un 18 novembre! Qui peut l’oublier?
Ce jour historique qui nous a marqués.

Un jour de combat,
Pour nos braves soldats.
Un moment décisif
Pour nos nègres captifs.
Tannés de leur condition d’esclaves,
Anxieux de se libérer de leurs entraves.

L’air du Nord a épousé l’odeur du sang.
Un sang mêlé de noirs et de blancs.
La terre a été piétinée
Par nos grenadiers déterminés.
Oh! Nuage de poussière
Qui a vu mourir nos âmes altières!

Oh! Vertières! Qu’ont-il fait de tes Forts?
Nos mémorables lieux du grand renfort.
Que de chevaux entrainés pour cette expédition!
Que de chiens dressés pour cette mutilation!...
Ce bataillon de grande foi,
Sous les ordres de Capois,
A fait tonner les canons.
A l’assaut! Répètent-ils à l’unisson

Tant pis pour ceux qui meurent…
Tant pis pour ceux qui pleurent...
Capois a vu tomber son chapeau
Et a fait voler celui de Rochambeau.
Le français lui a rendu hommage,
Accepta sa défaite et salua son courage.

Oh! Crête-à-Pierrot
Où sont tombés nos héros…
Oh! Butte Charrier, crête dominante
Vive La mission triomphante!

Haïtiens, mes frères!
Vous! les fils de Vertières!
Qui d’entre vous, reflètent ses vaillants?
Qui héritent encore l’âme de ses brillants?
Aujourd’hui, rendons hommage à nos Forts!
Renaissons de la cendre avec un peu d’effort.

Oh Vertières! où est passé ton esprit d’union
Que nos ancêtres reflétaient avec passion.
Tes enfants s’entredéchirent vivement
Puisqu’ils font la politique autrement
Ils ont perdu le sens de vivre en frères
Ont-ils vraiment saisi le sens de «Vertières»
Vous les jeunes patriotes entêtés
Rallumons le flambeau de nos héros de la liberté
Qui nous ont procuré cette épopée

Vertières (Frantz Lebeau, 2014)

Je salue ton parfum
Ta mémoire
Ton histoire
Ta grandeur
Ta prière
Ta puissance
Tes soldats
Ton image antillaise

N'était-ce toi ma lumière
Serait encore éteinte
Mon existence réelle
Une fiction, un beau rêve

Toi, image de la paix
Toi, empreinte de soleil
Toi, étoile de l'amour
Salut, salut Vertières.

L’illustre bataille de Vertières (Logerie, 2017)

Haïti, Haïti, Haïti, la Terre des Martyrs
Haïti, Haïti, le Pays des Grands Esclaves
Haïti, Haïti, la Terre des Anciens Braves
La Terre que maints truands veulent trahir.

Haïti, Haïti, la Terre du Feu brûlant
Haïti, Haïti, la Terre des jadis Vaillants
Les Grands Noirs ont défendu le sol sacré
Avec ardeur, véhémence et extrême fierté.

Haïti, Haïti, les lâches veulent vous vendre à vil prix
Haïti, Haïti, les soi-disant officiels ont offert votre tête
Aux anciens colons. Haïti, la Terre que ses fils ont trahie
Haïti, Haïti, la Terre, le Pays qui ne verra jamais la défaite.

Camarades, Soldats, Paysans, c'est avec votre sang
Que vous allez défendre les célèbres couleurs nationales
C'est avec votre cœur que vous allez franchir l'écran
Infernal des hypocrites. Haïti, Haïti, la Terre natale.

La bataille de Vertières continuera pour longtemps
Jusqu'à ce que le Peuple Haïtien cessera de souffrir
Jusqu'à ce qu'on cessera de piller et de tuer les paysans
Dès l'aube du dernier printemps, jusqu'à l'avenir.

Haïti, Haïti, Haïti, La Terre des Illustres et Braves Ancêtres
Haïti, Haïti, la Terre des Grands Héros, le Pays de Toussaint
La Terre de Dessalines et de Capois. Les Anges et les Saints
Viendront vous protéger. Haïti, vous êtes votre propre Maître.

Laissons ainsi le mot de la fin à Hébert Logerie , car pour lui comme pour nous, la lutte doit continuer pour redonner du sens à notre histoire. La bataille de Vertières continuera pour longtemps Jusqu'à ce que le Peuple Haïtien cessera de souffrir
Tet Ansanm pou Okap

RÉFÉRENCES

1. Pour une version intégrale du poème de Massillon Coicou.

2. Texte épique de Massillon Coicou (1867-1908) tiré de son recueil Poésies nationales, narrant l'épisode fantastique de la guerre de ... YouTube · Roody Barthelemy · 27 août 2018 dans

3. L’Armée indigène : la défaite de Napoléon en Haïti, par Jean-Pierre Le Glaunec, Lux Éditeur, 2014, 288 p.

4. « Vertières : de l'histoire à la poésie », dans Le Nouvelliste du 17 novembre 2006.

5. L'illustre bataille de Vertières. Copyright © Novembre 2017, Hebert Logerie, Tous droits réservés.

6. Lecture du poème de Fernande Gilbert : Hommage à Vertières.