Skip to main content

Cap-Haitien: cette tragédie quotidienne!!! (Andy Durosier)

J’ai décidé de poser mon regard sur le Cap-Haïtien dans ce papier dans le sillage de la catastrophe du 14 décembre 2021** laquelle a tué, brulé, tout en laissant derrière elle une effroyable tragédie humaine. A qui revient le blâme? À l’État? À cette population laissée pour compte depuis deux siècles ? À cette « Méga–Centralisation » ? À l’absence de vision de développement national ? La liste est longue.

Je n’ai pas choisi, pas dans ce texte, de faire revivre le fil des évènements du 14 décembre dernier. J’ai décidé dans ces quelques lignes qui vont suivre de camper de préférence cette tragédie permanente rongeant, détruisant, et s’opérant dans l’indifférence la plus totale. Dans ce texte j’expose succinctement les problématiques sur les questions de gestion urbaine ; du cadre environnemental et de la disparition du patrimoine bâti. Trois grandes plaies qui assombrissent l’avenir de cette ville « Patrimoine National ».

I. - L’Éclatement du Tissu Urbain

En 2021, le Cap-Haïtien à l’instar d’autres grandes villes du pays fait face de manière pénible à l’éclatement de son tissu urbain (bidonvilisation ; surpopulation ; gestion anarchique des espaces communs) etc..

.

Cette ville qui pouvait abriter à peine 100.000 âmes est fréquentée d’après certaines statistiques par plus d’un demi- million de personnes. D’après l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique, plus de 40% de la population du département du Nord estimée à plus d’un million d’habitants vit actuellement dans le centre urbain du Cap-Haïtien.[1] La population croît chaque année de 5,25% d’après les données produites par le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (2013).[2] Au centre-ville historique du Cap-Haïtien, le nombre d’habitants au km2 atteint facilement la barre de 13.454hab/km2 (IHSI, 2015).[3] Le séisme de 2010 ainsi que les différents cyclones qui ont affecté le département de l’Artibonite sont également des événements déterminants dans l’augmentation exponentielle de la population de la ville du Cap-Haïtien depuis ces dix dernières années.

Cette poussée démographique a eu pour effet d’accélérer la dégradation physique et urbaine du Cap-Haitien entraînant des constructions anarchiques ; l’insalubrité et la destruction du patrimoine bâti.

Plusieurs facteurs expliquent cette concentration de la population au Cap-Haitien :

  • Les infrastructures sociales en grande majorité (écoles ; universités ; hôpitaux ; etc.) sont concentrées au Cap-Haïtien ;
  • Les quelques services publics déconcentrés ne se trouvent qu’au Cap-Haïtien ;
  • L’absence d’équipements sociaux et des services de base dans le reste des communes du département ;
  • L’état d’extrême précarité dans lequel vit la majorité de la population rurale.

D’un autre côté, le centre-ville historique du Cap-Haïtien qui faisait l’orgueil des gens du Nord et des Haïtiens en particulier disparaît progressivement victime de la prolifération non - contrôlée des marchés publics dans le centre urbain. En exemple, le marché Clugny situé au centre-ville et construit à la fin 19e siècle ne peut plus faire face à la pression exercée par les échanges des différents produits. Non seulement il n’y a plus d’espace d’entreposage, les équipements sanitaires les plus élémentaires font un cruel défaut. À cause d’un manque de gestion ce marché déborde de son espace traditionnel et va « se jumeler » au marché de la Rue 3. Comme conséquence directe ces deux marchés où règne l’anarchie la plus totale, entravent la circulation automobile et piétonne dans une bonne partie du Centre-Ville Historique.

Au niveau de l’habitat urbain, 72% des maisons de la commune du Cap Haïtien sont localisées dans des quartiers fortement inondables.[4] De nombreuses constructions de 3 ou 4 étages pullulent dans le centre urbain du Cap Haïtien dans le non-respect des règles d’urbanisme et parasismique. En 2021 avec cet éclatement du tissu urbain, les constructions anarchiques, la difficulté de circuler, la forte concentration des habitants au km2, l’absence d’une stratégie de gestion de risques et de désastres pour la ville, un prochain tremblement de terre dans cette ville sera extrêmement meurtrier. Il n’est pas superflu de rappeler qu’en 1842, cette ville a été complètement détruite par un séisme entraînant la disparition de quelques 5.000 âmes représentant à cette époque près de 50 % des habitants du Cap Haïtien.

II. Le Défi de l’Environnemental

Au niveau environnemental, en plus d’être une ville exposée historiquement aux catastrophes naturelles (séisme par exemple), la ville du Cap-Haïtien ne peut plus supporter les averses qui depuis des années inondent de manière régulière ces rues et ces maisons en particulier. Plusieurs éléments concourent à cette incapacité de la ville à résister aux pluies, nous en citons quelques-unes :

  • L’occupation anarchique des flancs de montagnes ceinturant la ville du Cap –Haïtien ;
  • La vétusté des canaux de drainage ;
  • L’absence de maintenance des canaux de drainage ;
  • L’absence d’une stratégie de gestion et de contrôle des bassins versants (206kms2);
  • La coupe effrénée des arbres et l’érosion qui en résulte.

D’un autre lieu, la gestion des déchets dans le centre urbain du Cap Haïtien demeure un défi de taille presqu’insurmontable. La ville du Cap qui se signalait par sa propreté confronte de nos jours une crise sans précédent en matière de salubrité. Les grandes artères de cette si fière « cité christophienne » sont jonchées de piles d’immondices projetant une image hideuse de la ville. Or de maintes organisations nationales/internationales ont produit des tonnes d’études sur la gestion des déchets dans le centre urbain du Cap–Haïtien. A notre connaissance le Cap ne dispose pas jusqu'à présent d’une stratégie en termes de gestion des déchets solides et des eaux usées. Encore aujourd’hui aucune action concrète n’ait été entreprise pour mater ce «fléau » qui constitue une menace permanente pour la santé des gens vivant dans la commune du Cap-Haïtien. Cette situation doit interpeller la conscience de tous ceux et de toutes celles qui « s’égosillent » d’être capois.

Toutefois, nous devons noter que la Banque Interaméricaine de Développement a accordé un don non – remboursable au gouvernement haïtien d’environ 30 millions de dollars américains pour la construction d’une décharge moderne qui aura à desservir les municipalités du Cap-Haïtien, de Limonade, de Quartier Morin notamment. Ici se posera le défi de la pérennité de cet investissement après la fin de ce projet. Il faudra dès maintenant travailler sur l’articulation d’un plan directeur de gestion des déchets pour la commune.

III.- La disparition progressive du PATRIMOINE BATI

Le Cap-Haïtien jadis devait sa renommée grâce à la splendeur de son architecture et ses rues bien entretenues. Cette ville a été aussi le privilégié témoin de nombreux événements historiques fondateurs de la nation haïtienne (bataille de Vertières). Dans les « belles années » du Tourisme haïtien (1970 -1980), le Cap a été un port de croisière très prisée qui attirait de nombreux visiteurs venus admirer la majesté de son cadre bâti. Toutefois depuis plus de 30 ans nous assistons impuissants à la destruction systématique de ce patrimoine architectural.

Au niveau du bâti, le Cap-Haïtien se distinguait des autres villes du pays par son architecture unique ; son histoire ; ses promenades ; son bord de mer légendaire ; le tracé de ses rues. Aujourd’hui ces belles maisons en dentelles, en fer et fonte sont remplacées par des « monstruosités » en béton. Ces nouvelles demeures constituent à n’en pas douter des « armes de destruction massive » au plus prochain tremblement de terre au Cap-Haïtien.

Malgré le fait que le Cap ait été classé patrimoine national en 1995[5], nous n’avons jusqu'à date aucune règle de conservation et/ou de conservation du patrimoine bâti.

L’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National, sans grands moyens essaie de faire face à cet effacement progressif de la mémoire symbolisée par cette architecture unique dans la Caraïbe. Malheureusement les efforts de l’ISPAN sont vains puisqu’ils ne sont inscrits dans aucun plan global d’urbanisme et d’aménagement de la centralité du Cap-Haïtien.

L’absence d’une politique de protection de la mémoire et du patrimoine a fortement contribué à la dégénérescence du patrimoine matériel de la ville. De ce fait, cette architecture vernaculaire qui a fait la renommée du Cap-Haïtien est en voie d’extinction et conséquemment s’en va avec une partie de l’âme capoise.

En Somme…

Pour finir l’angle de traitement de cet article ne représente que des éléments d’un plus grand ensemble constituant les vulnérabilités multiples de la ville du Cap-Haïtien. Par exemple, au niveau du système de santé, on ne compte que 3 hôpitaux publics pour une population de près d’un million d’habitants. Au niveau du service d’incendie, le corps des Sapeurs-Pompiers du Cap-Haïtien est quasi dysfonctionnel et donc, incapable de faire face aux sinistres frappant la ville.

Ces trois grands fléaux que j’ai décrits plus haut dans ce texte, portent en eux la recette de cette catastrophe qui guette quotidiennement le Cap-Haïtien et assombrit son avenir. Cet épouvantable orage qui s’annonce, s’abattra inexorablement sur le Cap-Haïtien et l’anéantira si aucun effort n’est entrepris par ses fils et ses filles.

Pour éviter le pire il faut que s’opère un sursaut citoyen afin de sauver ce qui peut encore l’être et aider le Cap-Haïtien à renouer avec son histoire, avec son passé glorieux dans une perspective de développement durable au bénéfice de tous ces habitants.

« Espérer contre toute espérance » pour reprendre le mot d’un des illustres fils du Cap-Haïtien, le Docteur Hérold TOUSSAINT, dans mon prochain papier je vais me pencher sur un certain nombre d’actions qui pourraient sauver ce joyau de la nation haïtienne.

Andy Durosier, MPA.

Note

**Le drame s'est produit à Cap-Haïtien où 75 personnes sont mortes et 59 autres brûlées, dont 47 graves, à la suite d'une explosion, le mardi matin 14 décembre 2021, d’un camion-citerne transportant de la gazoline.

Références

1. Gracia, N. et Lozano, M (2017). Haitian Cities: Action For Today with an eye on Tomorrow. World Bank, Washington DC

2. Institut Haïtien Statistiques et Informatique (2015). Ménages et Densités Estimés. Port-au-Prince, Haïti.

3. Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (2013) .Esquisse de plan d’urbanisme pour la ville du Cap.

4. République d’Haïti (1995). Arrêté du 23 août 1995, Port-au- Prince, Le Moniteur.