Skip to main content

Protéger la ville du Cap contre elle-même... (Roberson Alphonse)

Le Cap-Haïtien est fébrile depuis plusieurs mois. Les activités culturelles, sportives et autres se multiplient attirant nos compatriotes de tout horizon ainsi que des touristes. Ces jours-ci, le Cap semble jouir d'une certaine normalité dans la crise majeure qui prévaut dans le reste du pays.

Toutefois, quelques semaines après le 353 anniversaire de la ville du Cap-Haïtien, nous ne devons pas perdre de vue les problèmes auxquels fait face cette ville qui nous est chère. Nous republions cet article parû en 2006 dans le Nouvelliste, sous la plume de Roberson Alphonse. Triste est de constater que les défis pour la ville demeurent en grande partie d'actualité. (Note de la rédaction)

Classée « Patrimoine National » il y a 11 ans, la ville du Cap regorge aujourd'hui de monuments en péril, de sites squattés et dégradés par la population. Acculée par une « bétonvillisation » irritant son unité urbaine, la « ville schizophrène », la ville aux deux visages mérite d'être protéger contre elle-même.

Le centre-ville du Cap-Haïtien est classé « Patrimoine National » depuis le 23 août 1995 par une décision présidentielle. Une mesure qui devait s'accompagner d'un programme de sauvegarde des sites et monuments historiques de la ville envahie par des « réfugiés écologiques » afin d'être efficace. Et contenir le flot de constructions sans permis écorchant l'unité urbaine, préserver les éléments les plus menacés de ce patrimoine face aux flux migratoires figurent parmi les objectifs de ce projet présenté en octobre 1996.

Une initiative qui a apporté à la Mairie du Cap, à travers l'ISPAN et l'architecte Eddy Lubin, un support technique afin de faire connaître, publier et diffuser les nouvelles dispositions concernant les constructions. Un projet très apprécié par des personnalités sensibilisées à la problématique de sauvegarde du patrimoine. Mais en dépit des efforts de sensibilisation des populations sur le sens de leur implication dans la protection du patrimoine, le Cap a glissé dans l'anarchie urbaine, dans l'insalubrité, dans la dévalorisation de ses riches potentiels historiques, culturels et naturels. Bref, la descente aux enfers... En effet, la suspension de la coopération avec l’Union Européenne au lendemain des élections contestées du 21 mai 2000, a privé l'État haïtien des ressources octroyées par ce partenaire assez sensible à la préservation et la mise en valeur du patrimoine historique, culturel et naturel du pays. Le chaos total dans lequel le pays s'est enlisé l'année même de son bicentenaire en 2004 a été donc préjudiciable. Et en 2006, deux après, l’ISPAN n’a toujours pas les moyens de sa politique. Pourtant, les projets, les cadres légaux, normatifs sont là.

Protéger la ville contre elle-même...

« Le Cap est une ville où l’on peut incendier une maison d’antan afin de construire une autre en béton », explique un architecte et spécialiste en préservation ayant requis l’anonymat. Selon ce dernier, les structures mises en place afin de réglementer tous les travaux de rénovation concernant la zone protégée doivent être soumises à la Mairie du Cap-Haïtien. Cette dernière achemine une copie au Ministère des Tavaux Publics, au SNEP et à l’ISPAN (cellule patrimoine) qui ont chacun leurs responsabilités dans le dossier. L'ISPAN s'occupe du côté architectural avec emphase sur le principe de respect de l’'unité urbaine tandis que les équipes des TPTC sont responsables de la supervision des travaux de génie. C'est-à-dire l'intégration dans l'environnement général de la nouvelle construction. Le respect des normes antisismiques, risques d'incendie, choix des matériaux utilisés. Et dans le cas des matériaux utilisés (unité urbaine oblige), l’ISPAN a son mot à dire, vu qu'il est le seul habilité à restaurer des bâtiments faisant partie du patrimoine national, explique cet architecte avec une maîtrise certaine de ce code de procédure.

Aujourd'hui, le manque de cohésion dans l'action des entités suscitées, est en partie responsable de l’anarchie, du "non État" dans la gestion de cette ville classée Patrimoine National, explique, l'air dépité, notre interlocuteur. Le laisser-aller des deux dernières de transition politique n'a pas permis de corriger les dérives, a-t-il poursuivi. Si l’incapacité d'appliquer un système de gestion impliquant toutes ces institutions au bénéfice de la ville du Cap dans la perspective de sa revalorisation mérite d'être remédiée, la mentalité des habitants de la ville pose problème. Un problème de taille, car la majorité des gens qui y vivent sont, comme c'est le cas pour Port-au-Prince, des réfugiés écologiques. C'est-à-dire, des compatriotes exclus qui n'ont d'autres choix que de ruraliser les espaces urbains à la conquête de leur droit à la vie. A la conquête des conditions matérielles d'existence. Sur le plan psychosociologique donc, l'espace urbain qu'ils occupent est un champ de bataille, un camp de concentration. Des représentations de l’habitat n'impliquant aucun respect, aucune attache, aucune affiliation.

Le constat a été réalisé par notre collègue Patrice pour qui la ville du Cap a deux visages. Une « Ville schizophrène ». Quelle planche de salut ? Elle sera peut-être trouvée dans la volonté des nouvelles autorités de faire du tourisme un secteur porteur du développement socioéconomique du pays. Et dans ce contexte, espérons que le Cap, dont les potentiels touristiques sont considérables, se réveillera, se prendra en charge.

Source: Roberson Alphonse

Références

1.Roberson Alphonse . Protéger la ville du Cap contre elle-même...