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Éducation

L’École libre de droit du Cap-Haïtien (Charles Dupuy)

Maison Tertulien-Guilbaud
Tertulien Guilbaud

C’est en 1894 que Tertulien Guilbaud fonda l’École libre de droit du Cap-Haïtien. Né à Port-de–Paix en 1856, Guilbaud était venu s’établir très tôt au Cap-Haïtien où il fut d’abord professeur au lycée Philippe-Guerrier avant qu’il ne soit appelé à occuper le poste de chef de cabinet du président Tirésias Simon-Sam et, plus tard, celui de secrétaire d’État de la Justice, de l’Instruction publique et des Cultes dans le gouvernement de Cincinnatus Leconte. On le verra plus tard ministre plénipotentiaire à Paris où il signa le Traité de Versailles au nom de la République d’Haïti en 1919. L’héritage le plus durable de Tertulien Guilbaud restera toutefois cette École libre de droit qu’il avait fondée dans sa ville d’adoption.

Il faut savoir qu’à cette époque, l’aspirant avocat apprenait son métier sur le tas en allant travailler en qualité de clerc dans le cabinet d’un ténor du barreau où le futur défenseur de la veuve et de l’orphelin était initié aux arcanes de la procédure juridique en préparant les dossiers du maître, en étudiant les codes de lois, bref, en s’instruisant des moindres subtilités de la profession avant de s’inscrire lui-même au barreau et entamer sa carrière professionnelle dans le temple de Thémis.

En l’année 1894, Me Tertulien Guilbaud transformait son cabinet d’avocat en une véritable école de droit. Une école où l’on appliquait les méthodes d’enseignement les plus strictes, suivait un rigoureux programme d'apprentissage étendu sur trois années académiques permettant de suivre les progrès de l’élève lequel, après avoir réussi les examens de fin d’études suivi d’un an de stage dans un cabinet d’avocat, pouvait s’inscrire au Barreau de l’ordre.

L’ouverture de cette École de droit survenait à point nommé. «L’accueil enthousiaste que reçut cette initiative du public montrait à quel point elle arrivait à un moment propice, nous dit le Dr Marc Péan. Il y avait, du reste, bien des vides à combler au sein du barreau avec l’entrée de plusieurs avocats de la ville dans l’administration. De plus, les débats dans les journaux mettaient fortement l’accent sur la nécessité de faire régner, enfin, la «légalité» dans notre jeune société.»(1) Ajoutons à cela la sanglante défaite des libéraux lors du siège de Miragoâne où la fine fleur de la jeunesse intellectuelle capoise, celle qui «rêvait de faire triompher le savoir, la compétence et l’intégrité administrative» avait été cruellement décimée. Il fallait donc sans tarder recomposer l’élite et former de nouveaux cadres.

Quand, en 1896, Tertulien Guilbaud entra dans le cabinet particulier du président Simon-Sam, c’est Turenne Leconte, un jeune diplômé de la faculté de droit de Paris, qui prit aussitôt la relève à la direction de l’institution. Par la suite, ce sera au tour d’un des premiers diplômés de cette École libre de droit, Villehardouin Leconte d’en assurer la gestion. Lorsque, devenu sénateur de la République, les obligations de Me Leconte l’obligeront à quitter la ville pour aller siéger au parlement, c’est son neveu, Emmanuel Leconte, qui agira en qualité de directeur de cette école dont la brillante réputation de rigueur et de qualité était maintenant bien établie.

Les avocats appelés à devenir haut fonctionnaire de l’État, cadre de l’administration publique, diplomate ou parlementaire qui sortiront de l’École libre de droit du Cap se comptent par dizaines. Citons seulement Jérôme Adhémar Auguste, Descartes Albert, Paul et Sertorius Arteaud, Léonce Bariento, Antoine Bernardin, Hubert D. Bright, Joseph D. Charles, Léonce Charles-Pierre, Jean-Baptiste Cinéas, Franklin Coqmard, Gabriel Ev. Ducheine, Guy et Henri Dugué, Antoine Étienne, Luc E. Fouché, Zachée Fouché, Jacques A. François, Pierre Gonzalès, Altesse Grandchamps, Joseph Augustin Guillaume, Maurice Guillaume-Sam, Max Jean-Jacques, Jacques Magloire, Frédéric Magny, Antoine Marthold, Guizot Mompoint, Théodore Nicoleau, Emmanuel Pauld, Maurice Péan, Edgard Pierre-Louis, Reynold Pierre, Luc G. Prophète, Théophile Richard, Frédéric Robinson, Karinsky Roséfort, François Saint-Fleur, Luc Stéphen, Emmanuel Saint-Amour, Émile Saint-Clair, Mario Séïde, Hilarion Turenne, Juvigny Vaugues, André Vincent, Louis S. Zéphirin, Mauclair Zéphirin et combien d’autres. Signalons parmi les diplômés de cette fameuse école de droit Joseph Nemours Pierre-Louis et Paul Magloire, qui deviendront et l’un et l’autre, chefs d’État d’Haïti. Paul Magloire était le commandant de la police du Cap quand il s’inscrivit à l’École de Droit, une pratique très peu courante à l’époque en Haïti. Notons qu’avant d’assister à ses cours, Paul Magloire se faisait le devoir de passer par le bureau du directeur lequel mettait son arme de service sous clef (*). On retiendra qu’à l’époque, l’École libre de droit était le seul établissement de niveau universitaire de la ville et qu’à ce titre, elle attirait quantité d’auditeurs libres, toute une jeunesse avide de connaissances, laquelle, sans nullement avoir l’intention de devenir homme de loi et d’entrer dans le monde de la basoche, la fréquentait pour étudier cette discipline par pure curiosité intellectuelle et comme «complément de culture».

En 1947, le président Dumarsais Estimé effectuait ce qui restera son seul voyage dans le Nord. On donna pour prétexte officiel de ce déplacement du chef de l’État sa participation aux célébrations des noces d’or de Me Villehardouin Leconte. Quand arriva le moment de clôturer les fastueuses célébrations qui s’étaient déroulées à l’Hôtel de Ville du Cap, le président Estimé proposa de décerner la plus haute décoration de la République à Me Leconte, celui-ci refusa aussitôt mais, en contrepartie, il fit promettre solennellement au président de construire les nouveaux locaux de l’École libre de droit. Estimé qui venait tout juste de promettre à la jeunesse du Nord rien de moins qu’une université d’État devait effectivement respecter ses engagements et, moins d’un mois plus tard, on lançait les travaux de construction des nouveaux bâtiments. Quatre ans après, l’école quittait le rez-de-chaussée d’une maison située au coin des rues 7 et Espagnole pour s’installer dans l’imposant édifice de la rue 22 où elle se trouve encore aujourd’hui.

Le comité de direction de l’École de droit se renouvelait par cooptation. C’est ainsi que Me Villehardouin Leconte choisit pour lui succéder à la direction de l’établissement Me Bertrand Obas dont il appréciait les belles qualités de rigueur, de ponctualité et de discipline. Ce dernier restera à la tête de l’institution pendant plus d’un quart de siècle avant de passer la main à Me Arnold Charles auquel succéderont Charles Leconte, Édouard Dupuy, etc. Entre-temps, la durée des études était prolongée d’une année supplémentaire passant de trois à quatre ans avant l’obtention de la licence en droit.

À la chute de la dictature duvaliériste en 1986 et tous les bouleversements politiques qui s’ensuivirent, l’école subira les perturbations du moment et n’échappera pas aux confrontations politiques mesquines et partisanes, aux polémiques orageuses, à des mouvements de grève sauvage qui iront jusqu’au vandalisme des locaux. Le calme enfin revenu, l’École libre de droit se retrouva absorbée, complètement intégrée à l’Université d’État d’Haïti; elle perdait son autonomie administrative, changeait de dénomination en devenant la Faculté de Droit et des Sciences économiques.

Après plus d’un siècle d’existence, et bien des avatars, l’École libre de droit reste encore un véritable sanctuaire du savoir au cœur de la ville, un vivant témoignage de la compétence, de la solidarité et de ce grand sens du devoir de la classe intellectuelle capoise qui, au travers des générations, aura su mettre sur pied une œuvre durable pour la formation des élites. On ne sera jamais assez reconnaissant envers ces travailleurs de l’esprit qui ont laissé à la jeunesse de leur ville et de leur pays un héritage aussi précieux qu'impérissable.

Notes

(*) En Haïti, sous la dictature duvaliériste, les étudiants tontons-macoutes ou les officiers de l’armée entraient ostensiblement armés dans les salles de cours et, au moment des examens, ils déposaient leur revolver bien en vue sur leur pupitre.

Charles Dupuy

Note de la rédaction

Déclarée d’utilité publique par le Président Elie LESCOT, la première pierre de l’édifice a été posée le 15 octobre 1947 par le président Dumarsais Estimé.

Références

1. Marc PÉAN, L’illusion héroïque 1890-1902, 25 ans de vie capoise, T. I 2ème édition, Port-au-Prince, Imprimerie Henri Deschamps, 1977, 180 pages, p. 79.

Crédit-photo : @Maître François Baptiste, 2021.

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