Marie-Louise - Veuve Henry Christophe de Marie-Lucie Vendryes
Que savait-on au juste de Marie-Louise Christophe, née Coidavid, le 8 mai 1778 sur l'Habitation Bedou dans la commune de Ouanaminthe, décédée le 14 mars 1851 dans la ville de Pise en Italie ? Relativement peu de choses sinon qu’elle fut d’abord première dame (1807-1811) avant d’être couronnée reine d’Haïti, la seule, en même temps que la proclamation de son époux Henry Christophe comme roi en 1811, que ses filles Françoise-Améthyste et Anne-Athénaïs et elle durent fuir le pays à la suite de la mort de ses mari et fils et de l’abolition subséquente de la monarchie. Aussi, grâce soit rendue à Marie-Lucie Vendryes d’avoir restitué à cette figure somme toute injustement méconnue de l’Histoire haïtienne la place qui lui revient de droit par le biais de son roman, Marie-Louise - Veuve Henry Christophe.
Pour peu qu’elles et ils se soient montrés le moindrement attentifs en classe, les écolières et écoliers d’Haïti peuvent réciter par cœur les dates et événements marquants du règne d’Henry Christophe, auquel l’écrivain martiniquais Aimé Césaire a par ailleurs consacré il y a un demi-siècle une pièce de théâtre majeure, (La Tragédie du roi Christophe, 1963) créée en août 1964 au Festival de Salzbourg, dans une mise en scène signée Jean-Marie Serreau. Le chantre de la négritude y mettait en scène le destin tragique d’un homme politique qui avait l’ambition de restaurer la grandeur de son pays stigmatisé par son passé esclavagiste et décrivait la lutte du peuple haïtien pour conquérir sa liberté. Dans le cas du roi Christophe comme dans celui de bien des héros historiques, le vieil adage se vérifie : derrière tout grand homme se profile une femme de grandeur au moins égale. Et c’est ce que s’attèle à illustrer Marie-Lucie Vendryes dans ce premier ouvrage où elle fait montre d’une admirable maîtrise de l’art romanesque. La fiction historique, on le sait, a des règles extrêmement exigeantes : le genre demande à celui ou celle qui le pratique de savoir mêler personnages et événements réels et fictifs avec pour toile de fond un épisode majeur de l’Histoire.
Dans une écriture élégante, sans excès grandiloquents, Marie-Lucie Vendryes parvient à intégrer des connaissances approfondies de son sujet à la trame éminemment romanesque de l’époque. En revisitant la tragédie de l’ère christophienne du point de vue de Marie-Louise, la romancière va à l’encontre de cette tradition typiquement phallocrate de reléguer les femmes aux seules coulisses de l’Histoire officielle. De sa naissance dans une famille d’affranchis à son exil italien en passant par la clandestinité forcée par la guerre d’indépendance, le deuil de son fils aîné décédé en France dans des circonstances sinistres, la transition du statut de première dame à celui de reine consort, le roman retrace le parcours emblématique de sa courageuse héroïne, mariée à quinze ans à l’un des hommes qui ont infléchi le destin de tout un peuple. On dit que seule Marie-Louise savait calmer les colères terribles et parfois meurtrières de son époux royal. Le roman navigue adroitement entre les faits historiques avérés et les présomptions tout à fait plausibles ; il présente de surcroît sous une lumière nouvelle les pages glorieuses et les moins glorieuses des lendemains de l’Indépendance haïtienne, de l’édification du Royaume et de la République nés des cendres de la colonie.
Détentrice d’un baccalauréat en histoire de l’art et d’une maîtrise de muséologie de l’Université du Québec à Montréal, Marie-Lucie Vendryes a également obtenu un D.E.A. en muséologie de l’Université de Bourgogne (France). Fondatrice en 1999, de Fragments et traces d’Haïti, organisme œuvrant à la valorisation du patrimoine haïtien, elle est conceptrice et co-conceptrice de projets et de programmes muséographiques (musée haïtien de la mer, musée de l’imprimerie, musée de l’esclavage et salon de la révolution, musées numismatiques, musée de la femme haïtienne, musée régional du Sud d’Haïti, etc.). Marie-Lucie Vendryes a, entre autres, été commissaire de l’exposition virtuelle Les Armes de la Capitale qui est sur le site villeducaphaitien.com. Son premier roman Marie-Louise - Veuve Henry Christophe est une réussite admirable et nécessaire qui nous met en appétit pour d’autres œuvres signées de sa main. À quand la prochaine ?