Par un beau dimanche ensoleillé, je devais avoir dans les dix ans à l’époque, ma mère me demanda de l’accompagner au port où un riche américain exposait dans son yatch, l’ancre de la Santa Maria. Arrivés à bord du bateau, nous fûmes accueillis par un petit homme rond et au visage rubicond qui avait fièrement placé sa précieuse trouvaille sur le tapis de son salon, bien en vue au milieu de la pièce. Il s’agissait d’une ancre de bateau toute mouillée, toute couverte de mollusques marins et de la forme la plus simple qui se puisse imaginer. Une tige de métal d’environ un mètre de long avec, à sa base, un arc de cercle tout à fait ordinaire, sans ornements ni fioritures. C’était l’ancre de la Santa Maria.
Le millionnaire féru d’histoire maritime quitta le port quelques jours plus tard, laissa l’ancre aux autorités haïtiennes qui l’entreposèrent à l’Arsenal du Cap. Le National, le quotidien gouvernemental du temps, publia un reportage détaillé sur l’événement déclenchant par là même, une orageuse polémique sur l’authenticité de cette ancre trop vite attribuée à la célèbre caravelle. En effet, le conservateur du musée national, M. Séjour Laurent, fit paraître un article dans lequel il affirmait que la sorte d’ancre retirée des flots par l’explorateur américain ne correspondait ni par sa forme ni par sa taille au type d’ancre de l’époque de Colomb.
L’ancre de la Santa Maria, affirmait-il, était bel et bien celle que gardait dans ses voûtes le Musée national de Port-au-Prince et aucune autre. Il rappela comment cette ancre avait été trouvée à l’époque coloniale, en 1796, à un kilomètre à l’intérieur des terres et à deux mètres de profondeur sur l’habitation Fournier-Bellevue. Cette ancre, ajouta-t-il, figure parmi les plus précieux biens de la nation haïtienne et appartient à son inaliénable patrimoine culturel. Exposée au musée officiel d’État (Mupanah) depuis 1983, l’ancre de la Santa Maria demeure, avec ses quatre mètres de hauteur, l’une des plus belles pièces de la riche collection de l’institution.
J’en profite ici pour rappeler qu’en 1933, lorsque Charles Lindbergh visita Haïti, les autorités de Port-au-Prince pensèrent que, pour marquer l’occasion, le plus beau souvenir que l’on pouvait offrir à cette célébrité mondialement connue ce serait quelques centimètres de l’ancre de la Santa Maria. Sans désemparer, en quelques coups de scie à métaux, on préleva un bout de la fameuse ancre que l’on remit fièrement à l’illustre pilote et explorateur des temps modernes. Je peux rassurer le lecteur, aucune autre personnalité de passage au pays n’aura eu droit à un pareil honneur par la suite.
Entre-temps, la baie de Caracol ne cessera pas d’attirer les explorateurs et chasseurs de trésors archéologiques. Combien de ces chercheurs amateurs ou professionnels, à l’aide de photos satellites et autres moyens sophistiqués d’exploration sous-marine, se vanteront, à tort ou à raison, d’avoir trouvé l’épave du navire amiral de Christophe Colomb ou bien encore les vestiges du fort de la Nativité, ce premier établissement de l’homme blanc en terre d’Amérique.
Si toutefois, cher ami lecteur, vous êtes curieux de savoir ce qu’il est advenu de la fameuse ancre que j’avais vue fraîchement sortie du fond de l’océan toute couverte d’algues vertes, de coquillages et de gastéropodes, sachez qu’elle a été remise quelques années plus tard en cadeau à la faculté d’océanographie de je ne sais plus quelle université de l’État de la Floride par le président d’Haïti de l’époque, le docteur François Duvalier.
Et voilà venu, chers amis, le moment de dire: Acta est Fabula…
Charles Dupuy
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