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Histoire

Hammerton Killick (Charles Dupuy)

Au lieu de se rendre à la canonnière allemande Panther, l’amiral Hammerton Killick préféra se faire sauter avec son aviso de guerre, La Crête-à-Pierrot. La fin dramatique de l’amiral qui voulait éviter le déshonneur de la capture, se transformera, par amplification lyrique, en manœuvre la plus glorieuse de l’histoire de la marine haïtienne et fera entrer son auteur comme héros et martyr dans le panthéon national. Poèmes épiques, pièces de théâtre, timbres-poste honorent sa mémoire et son seul nom évoque à la fois, sens du panache, hardiesse, bravoure et patriotisme. Né en Hollande, en 1856, dit-on, Killick était issu d’une famille capoise d’origine britannique. Il serait bien malaisé de retracer les années mouvementées de sa jeunesse aventureuse. Après avoir bourlingué sur toutes les mers du monde, ne fut-il pas, dit-on, matelot dans la marine française… il retournait chez lui offrir ses services à son pays qui le fait vice-amiral de la flottille de guerre de la république d’Haïti. En décembre 1897, lors de la fameuse affaire Luders, Killick était déjà aux commandes de La Crête-à-Pierrot, le navire amiral et la plus puissante unité de la marine haïtienne.

La canonnière La Crête-à-Pierrot

Gagné à la cause du firminisme, Hammerton Killick s’engage avec ardeur et conviction aux côtés du seul prétendant au fauteuil présidentiel qu’il croyait digne de ses suffrages. C’est au moment de l’échauffourée entre les partisans d’Anténor Firmin et ceux du général Nord Alexis au Cap-Haïtien, qu’il affiche ses couleurs, prend ouvertement parti pour son candidat. On était dans la semaine des élections législatives devant déterminer qui, de Firmin ou de ses adversaires, deviendrait député de la ville. La victoire n’ira qu’à celui des concurrents en lice pour lequel, selon la consigne, les soldats voteront en bloc. Le beau-frère de Firmin, le général Albert Salnave, occupe bien le poste de commandant de l’arrondissement, mais Turenne Jean-Gilles, celui qui détient le haut contrôle militaire du département et, plus encore, Nord Alexis, le ministre de la Guerre, ne paraissent pas disposés à faciliter la victoire de leur ennemi.

Le vendredi 27 juin 1902, les amis de Firmin, persuadés que les hommes du ministre de la Guerre complotaient contre leur candidat, se précipitent les armes à la main vers sa résidence menacée. Les provocations se multiplient, la maison de Firmin subit alors plusieurs attaques qui sont repoussées de justesse.

Tôt dans la matinée du 28 juin, Killick fait débarquer ses fusiliers-marins qui vont se poster avec trois mitrailleuses à proximité de la maison de Firmin. Si ce dernier considère que la présence des marins de Killick vient garantir la liberté des élections, Nord Alexis, lui, pense au contraire que cette initiative de l’amiral porte préjudice au bon déroulement des opérations d’inscription et ne vise qu’à forcer l’accession de son ami à la députation. Il le déclare donc hors-la-loi et invite tous les citoyens à se réunir autour de l’autorité constituée afin de rétablir l’ordre et la sécurité publics.

Le lendemain samedi 28 juin, vers les quatre heures de l’après-midi, les adversaires de Firmin donnaient encore une fois l’assaut à sa maison, mais, cette fois, ils sont vigoureusement refoulés à coups de mitrailleuse par ses partisans. On compte des morts et des blessés dans les deux camps. Comprenant qu’il est pris au piège et qu’il ne pourra pas résister très longtemps à ses ennemis qui sont aussi nombreux que déterminés, Firmin annonce à Killick son intention de quitter la ville à bord de La Crête-à-Pierrot.

Le dimanche 29 juin, au milieu des escarmouches et de la canonnade, l’évêque du Cap, Mgr Kersuzan, le consul de France et celui des États-Unis, négocient un cessez-le-feu devant faciliter le départ de Firmin. Habillé en marin, Firmin quitte sa résidence pour descendre la rue Notre-Dame (18) où il est rejoint par les consuls Giordani et Lamuel Livingston qui l’encadrent, le couvrent de leurs pavillons et l’aident à monter en toute sécurité à bord de La Crête-à-Pierrot. Killick appareille aussitôt en direction des Gonaïves où Firmin est accueilli en héros par toute la ville qui en fait son premier député. Pendant ce temps, au Cap, les troupes de Nord Alexis saccageaient les maisons de Firmin, de ses lieutenants Albert et Thimoléon Salnave de même que celle du sénateur Saint-Lucien Hector. Dans son rapport au Département d’État, le ministre plénipotentiaire américain William Powell, confirme que tout fut détruit dans la superbe résidence de Firmin, «sa belle bibliothèque, la plus riche de la république, écrit-il, contenant beaucoup de livres rares d’une valeur inestimable a été anéantie. [...] Une Histoire d’Haïti qu’il avait presque terminée et qu’il se préparait à remettre à l’imprimeur, le tout représentant quelque vingt ans de travail a été livrée aux flammes».

Killick joue son va-tout et s’investit sans réserve dans la cause firministe. La Crête-à-Pierrot dont l’acquisition avait coûté pas moins de 800,000 dollars au trésor de la république, est le seul bâtiment de guerre haïtien en état de naviguer, le Capois-la-Mort est en réparation et le Toussaint-Louverture venait tout juste de sombrer dans la baie de Caracol. Killick s’en réjouit d’ailleurs un peu puisqu’il confie ironiquement à son entourage qu’il n’est pas absolument mauvais que votre flotte soit réduite à une seule unité puisqu’ainsi l’on est certain d’être très fidèlement obéi. Le chef du gouvernement provisoire, Théomas Boisrond-Canal, invite poliment l’amiral à ramener l’aviso dans la capitale, mais Killick, qui a choisi son camp, fait la sourde oreille et persiste dans son insubordination. Le général Jean-Jumeau et avec lui le Nord-Ouest et l’Artibonite ne jurent que par Firmin, les partisans de la cause firministe sont convaincus de leur bon droit et plus que jamais décidés à entrer à Port-au-Prince afin d’y installer leur candidat au Palais national.

La Crête-à-Pierrot qui voit baisser ses réserves de charbon et qui aurait désespérément besoin d’un réapprovisionnement en combustible, exerce malgré tout une étroite surveillance du golfe de la Gonâve qu’elle patrouille sans relâche et réussit même à imposer un sévère blocus à la ville du Cap-Haïtien. Le gouvernement provisoire déclara alors l’amiral Killick pirate et invita les grandes puissances étrangères à capturer son vaisseau. Sans succès. En effet, le navire de guerre français D’Assas de même que le croiseur américain Marietta, refusèrent de se mêler de ce que Paris et Washington considéraient comme une aventure militaire purement haïtienne et dans laquelle ils n’entendaient pas le moins du monde engager leurs forces navales.

Le 2 septembre 1902, La Crête-à-Pierrot interceptait le cargo allemand Markomania au large du Cap-Haïtien et, malgré les objections de son commandant, le capitaine Nansen, s’emparait de la cargaison d’armes et de munitions qu’elle transportait dans sa cale*. Ce fut l’erreur de Killick. En effet, l’empire allemand, jugeant ses intérêts menacés, va aussitôt courir à la rescousse du gouvernement de Port-au-Prince.

Le 5 septembre, vers midi, la canonnière allemande Panther arrivait en rade des Gonaïves où La Crête-à-Pierrot était à l’ancre à peu de distance du littoral. Killick qui, la veille, avait subi l’amputation de deux doigts de la main droite était à terre lorsque le navire allemand tira son premier coup de semonce. À midi et demi, le S.M.S. Panther lançait un ultimatum à l’aviso haïtien auquel il enjoignait de ramener ses couleurs et de se rendre. Le signal était accompagné d’un coup de canon dont le boulet tomba près de la ligne de flottaison de La Crête-à-Pierrot. Aussitôt, on désigna un officier comme parlementaire auprès du S.M.S. Panther. Le commandant allemand, le capitaine de frégate Richard Eckermann, refusa de laisser monter ce dernier à bord de son navire. L’officier haïtien expliqua alors que l’amiral Killick était à terre à cause d’une opération subie la veille, (Killick avait été amputé de deux doigts de la main droite, gangrenés suite à la morsure reçue d’un marin à qui il avait asséné un coup de poing) que le consul allemand était sur le quai et qu’il y avait des étrangers à son bord. L’officier allemand répliqua qu’il n’avait aucune excuse ni explication à recevoir ni de lui, ni de son gouvernement, ni des étrangers, ni non plus du consul. Il déclara être venu d’ordre de Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne afin de capturer ou de faire sauter le navire pirate qui s’était emparé des armes que transportait le Markomania. Il fit enfin dire à l’amiral de venir à son bord et de débarquer son équipage avant cinq minutes.

Au bruit de la canonnade, Killick avait regagné son navire et ordonné le branle-bas de combat, mais, se ravisant, il ordonna à l’équipage d’évacuer le bâtiment. Tout le monde obtempéra sauf le médecin du bord, le Dr Émile Cole, un maître d’hôtel ainsi que trois matelots qui préférèrent rester sur le pont avec l’amiral et partager son destin. Ce dernier entra alors dans son carré de l’arrière, arrosa de kérosène les dix quarts de poudre qu’il y avait disposées quelque temps auparavant, puis déchargea deux coups de revolver qui provoquèrent une terrible déflagration. Pendant que l’incendie se propageait à l’intérieur du bâtiment, le S.M.S. Panther faisait lentement machine arrière. Vers quatre heures, constatant que les pièces avant de La Crête-à-Pierrot étaient encore en état de faire feu, Eckermann tira une quinzaine d’obus à bout portant contre le bâtiment rebelle tout en balayant son pont du feu de ses mitrailleuses. La chaudière de La Crête-à-Pierrot explosa alors en soulevant le navire qui s’abîma doucement sur son flanc de bâbord puis sombra dans un épais nuage de fumée qui obscurcit toute la rade des Gonaïves.

L’amiral Killick avait refusé le combat à cause des éventuelles représailles diplomatiques que sa résistance aurait pu entraîner contre Haïti. Le lendemain 6 septembre, dans une proclamation vengeresse, Firmin ne manqua pas de rendre Boisrond-Canal responsable devant l’histoire de la tragédie de La Crête-à-Pierrot. Comme on peut le penser, le sabordement du navire jeta la plus profonde consternation parmi les partisans de Firmin qui comprirent tous que cette catastrophe annonçait leur prochaine déconfiture. Firmin fit d’ailleurs redoubler la surveillance policière pour empêcher que la population ne s’en prenne aux établissements allemands de la ville des Gonaïves. Toute la grande presse internationale commenta à l’envie cette drôle de bataille navale qui, à l’étonnement du monde entier, venait de se dérouler dans les eaux haïtiennes. De son côté, Guillaume II félicita fièrement le commandant Eckermann en lui adressant ce message laconique: «Bravo Panther, gut gemacht!» (beau travail).

Deux jours après, les funérailles de Killick étaient célébrées aux Gonaïves au milieu d’une foule immense. Parce qu’il considérait que l’amiral s’était suicidé, le curé de la paroisse, le père Aubéry, refusa les honneurs d’un service religieux à sa dépouille qui resta pieusement exposée devant l’autel de la patrie. Plus tard, un buste sera érigé à sa mémoire dans le port des Gonaïves.

Timbre du 40e anniversaire de l'événement.

Moins d’un mois après ces événements, le 17 octobre 1902, assiégé par les hommes de Nord Alexis et voyant sa cause perdue, Firmin, suivi de deux cents de ses partisans, montait à bord de l’Adirondax à destination de Saint-Thomas. La guerre civile de 1902 était bel et bien terminée.

* Il s’agissait de 25 caisses de fusils, 20 caisses de cartouches, 25 quarts de poudre destinés à Nord Alexis. «L’officier» haïtien qui monta à bord du Markomania pour saisir la cargaison était le journaliste Pierre Frédérique, le directeur de L’Impartial. On se rappellera que, le 6 décembre 1897, lors de l’affaire Luders, il avait ameuté le peuple de Port-au-Prince à l’arrivée des canonnières allemandes. Pour le punir, les autorités l’avaient envoyé séjourner dans la cale de La Crête-à-Pierrot où il se lia d’amitié avec Killick.

Charles Dupuy
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