Skip to main content

Joseph Nemours Pierre-Louis (Charles Dupuy)

Né au Cap-Haïtien le 24 octobre 1900, Joseph Nemours Pierre-Louis appartenait à la génération de ceux qui allaient entrer dans la vie active à partir des années 1930 et qui le resteront quasiment jusqu’à la fin du siècle. Après ses études secondaires au Collège Notre-Dame du Perpétuel Secours à une époque où cette institution était encore dirigée par le fameux père Brangoulo, il s’inscrivit à l’École libre de Droit du Cap d’où il sortit avec une licence en droit.

Il entre dans la vie professionnelle comme professeur au Lycée Philippe-Guerrier, où, pendant quelques années, il enseignera les sciences physiques et naturelles dans les classes du premier cycle. Au même moment, il devenait professeur à l’École de Droit. Homme à l’élégance raffinée, on le reconnaissait en ville à sa démarche triomphante, muni de sa badine et de son indispensable chapeau de feutre. Réputé pour son caractère solitaire et son esprit rigoureux, il n’avait pas encore atteint ses trente ans quand il fut nommé juge au Tribunal civil du Cap. Peu après, le président Vincent l’appelait dans son ministère au titre de secrétaire d’État de la Justice et des Cultes. Moins d’un an plus tard, il retournait dans sa bonne ville du Cap en qualité de doyen du Tribunal civil. C’est là que, à l’entendre, il passa les plus belles années de sa vie professionnelle. C’est bien souvent d'ailleurs et avec plaisir qu’on verra cet éternel célibataire ouvrir les portes de son salon à ses collègues qui venaient consulter l’homme de loi, solliciter les avis professionnels de ce juriste émérite.

Dans les jours tumultueux suivant la chute d’Élie Lescot, Joseph Nemours Pierre-Louis posa sa candidature au sénat de la république. Le 18 juin 1946, il était élu sénateur du département du Nord. Signalons ici que cette campagne électorale lui avait coûté une petite fortune et s’il en sortait vainqueur, il ne s’en trouva pas moins quasiment ruiné. Dans le monde politique d’alors, c’est sans grande surprise que le nom du sénateur Joseph Nemours Pierre-Louis entra dans la courte liste des hommes «présidentiables». Toutefois, celui qui allait choisir le nouveau chef d’État était le colonel Paul Eugène Magloire, le ministre de l’Intérieur et le véritable chef du gouvernement militaire. Le sénateur Pierre-Louis était partout alors considéré comme un des favoris de Magloire, le faiseur de roi. Comme le sénateur Pierre-Louis était à court de ressources pour affronter les présidentielles, Paul Magloire fixa un rendez-vous entre le candidat et Oswald J. Brandt à Rivière Froide, chez le sénateur Louis S. Zéphirin. Aussitôt après les présentations, Brandt entra dans le vif du sujet de la rencontre et s’empressa de révéler au candidat Pierre-Louis qu’il était tout à fait disposé à financer sa campagne présidentielle. Surpris par tant de générosité, le sénateur Pierre-Louis n’hésita pas à exprimer ses remerciements les plus empressés à son généreux donateur et aussi à lui demander quelles seraient les conditions du remboursement de ce prêt considérable. Un peu surpris par la question, Brandt se contenta de lui répondre: «On verra… on verra…» À la fin de la réunion, Brandt tira Magloire par la manche pour lui faire comprendre que l’homme n’était qu’un amateur et que, par conséquent, il fallait en choisir un autre.

Comme on sait, c’est le député des Verrettes, Dumarsais Estimé, qui fut élu président de la République. Six mois plus tard, celui-ci nommait le sénateur Pierre-Louis président de la Cour de cassation. Le 12 décembre 1956, à la chute de Magloire, ainsi que le voulait la constitution, Joseph Nemours Pierre-Louis devenait le président provisoire d’Haïti. Soucieux de l’ordre constitutionnel, Pierre-Louis ne visait que la continuité de l’État et celle des institutions, mais comme il était fortement soupçonné d’être un magloiriste par les principaux candidats, ceux-ci décrétèrent la grève générale contre son gouvernement tandis que les «bombistes« faisaient sauter un de leurs engins de mort à proximité du Palais législatif. Le 4 février 1957, Joseph Nemours Pierre-Louis faisait parvenir sa lettre de démission au Sénat. Son départ du Palais ouvrit une période de violences et de turbulences politiques qui dura tout près d’un an.

Joseph Nemours Pierre-Louis est mort à Port-au-Prince, le 15 avril 1966. À ses funérailles nationales, les fonctionnaires chargés de prononcer son éloge funèbre voulurent rappeler que le président Joseph Nemours Pierre-Louis, s’il fut sans nul doute un homme de grande culture juridique et d’une probité personnelle incontestable, n’était toutefois pas le chef révolutionnaire auquel s’attendait l’opinion après le renversement de Paul Magloire. Homme parfaitement incorruptible, Joseph Nemours Pierre-Louis nous laissera le souvenir d’un homme de loi intègre et réfléchi, d’un serviteur de l’État à la probité scrupuleuse et à la rectitude morale inattaquable.