Ce texte offre une perspective riche et historique sur les flux migratoires, avec un focus particulier sur Haïti. Il met en lumière les défis auxquels font face les migrants, tout en soulignant le rôle clé de la migration dans l’histoire mondiale. (Note de la rédaction)
Les routes de la migration
Le migrant est pourchassé un peu partout à travers le monde. En Europe, il traverse la Méditerranée sur des embarcations de fortune. En Amérique, il affronte les pires dangers et se retrouve parfois en plein milieu de la jungle de Darien, entre la Colombie et le Panama, avant d’atteindre la frontière sud des États-Unis. En République Dominicaine, il est souvent victime de sévices infligés par les agents de l’immigration. En Haïti, c’est l’exode. Il est contraint de fuir d’une région à l’autre pour échapper aux méfaits des gangs. Au Proche-Orient, sa vie ne vaut guère mieux.
L’histoire de la migration, c’est l’histoire du monde. Une histoire complexe, semée d’incertitudes. La migration est aussi liée aux aléas climatiques et à la recherche de nouveaux territoires pour s’implanter et se sédentariser. C’est notre histoire à tous, celle de l’humanité. Depuis la lointaine Afrique, en passant par le détroit du Béring jusqu'aux rives du Rio Grande, la tragédie du migrant ne peut nous laisser insensibles.
Sur l’île d’Haïti, les traces de la migration remontent à plusieurs siècles, bien avant l’arrivée des conquistadors espagnols. L'historien Ivan Van Sertima (1) soutient que des Africains avaient découvert l’Amérique avant Christophe Colomb. De récentes découvertes archéologiques indiquent également la présence de peuples antérieurs à l’implantation des Taïnos et des Caraïbes dans cette région.
Après l’indépendance, Haïti accueillait de nombreux migrants venus d’horizons divers. Au 19ème siècle, les Allemands dominaient une partie de l'économie du pays, une situation que les Américains voyaient d’un mauvais œil, car contraire à la doctrine de Monroe. Cette tension contribua à la décision des États-Unis d’occuper militairement Haïti en 1915.
L'ouvrage Kiskéya / Haïti : cinq siècles de migration internationale relate l’histoire des différentes vagues migratoires qui se sont succédé en Haïti. Les Afro-Américains ont tenté à plusieurs reprises de s'y établir. Les Levantins, fuyant les persécutions, ont trouvé refuge sur cette terre. Les Juifs, durant la Seconde Guerre mondiale, furent aussi accueillis. Certains chercheurs rapportent même l’existence d’une communauté juive remontant à la colonie française.
Des théories avancent que certains membres de l’équipage de Colomb étaient d'origine israélite et que Colomb lui-même aurait eu des racines juives. D'autres historiens affirment que des fonds juifs auraient contribué à financer l'expédition vers le Nouveau Monde. Par ailleurs, les Polonais qui avaient combattu aux côtés de l’armée indigène durant la guerre d’indépendance sont restés sur l’île après la victoire. Les migrants de la Caraïbe anglophone, de la Martinique et de la Guadeloupe, cherchant à échapper à l’emprise des Békés, ont également trouvé refuge en Haïti.
Les migrants italiens, chinois, corses et bien d'autres sont venus renforcer cette mosaïque culturelle. Haïti a ainsi connu des périodes florissantes malgré les épreuves rencontrées. Mais cette terre d'accueil est progressivement devenue une prison à ciel ouvert.
L'exode a alors commencé. Dès les années 1960, les boat-people, au péril de leur vie, ont pris la mer vers la Floride, les Bahamas et d’autres destinations. Parallèlement, les cadres moyens et supérieurs ont migré vers le Congo, les États-Unis, le Mexique, le Canada et l’Europe pour fuir la dictature des Duvalier et se construire un avenir meilleur.
L'ouvrage Kiskéya / Haïti : cinq siècles de migration internationale étudie la migration dans les deux sens, en Haïti et ailleurs. Il analyse les politiques migratoires du pays, les faiblesses institutionnelles et les lois face à la migration. L'auteur explore les causes de l'exode et les effets pervers de l'aide internationale. Enfin, l'ouvrage met en lumière les communautés haïtiennes à l'étranger.
Ce livre, (disponible sur Amazon) loin d'être aride, se lit comme un roman tout en constituant une référence incontournable pour comprendre les dynamiques migratoires haïtiennes.
Philippe Jean-François
Références :
1. Ivan Van Sertima. Ils y étaient avant Christophe Colomb. Paris, Flammarion, 1992, 320 p.