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Littérature

Les curieuses circonstances de la mort de Maître Vergniaud Leconte (Charles Dupuy)

Les circonstances qui entourent la mort de Maître Vergniaud Leconte ont provoqué, au moment où elles se produisirent, l’émotion la plus profonde dans la ville du Cap-Haïtien où, pendant fort longtemps, elles furent abondamment commentées. Elles sont plus ou moins oubliées aujourd’hui. C’est pour cette raison que je m’empresse de les raconter ici avant que le souvenir n’en soit complètement disparu. Rappelons qu’en 1931, Maître Vergniaud Leconte avait fait paraître une magistrale biographie consacrée à Henri Christophe, ouvrage dont l’éblouissante érudition devait séduire le grand public et assurer le plus durable succès.

Ses malheurs commencent quand, un après-midi comme les autres, il reçut à son domicile la visite assez insolite d’un énergumène qui se mit à lui proférer des injures tout en s’excitant et en élevant la voix. La scène, qui s’était déroulée à la porte d’entrée ouvrant sur les jardins de la maison n’avait pas échappé à la vigilance inquiète de sa femme qui, intriguée et anxieuse l’interrogea avidement sur l’identité de l’insolent et les raisons de son emportement. La mine soucieuse, l’intéressé se contenta de répondre: «ce que Dieu garde est bien gardé». On conçoit la déception de l’épouse tenue à l’écart des confidences de son mari quand tout semblait indiquer que celui-ci avait été l’objet de menaces. Et dans cette éventualité, on ne peut que se perdre en conjectures. Un procès gagné ou perdu? Une vieille offense oubliée? La révélation de quelque secret historique? Toujours est-il que quelques semaines plus tard, Maître Leconte sombra dans un tel état d’abattement qu’il fut forcé de garder la chambre.

Alarmé par cet étrange affection qui minait lentement le malade, les médecins faisant le lien avec les fulminations de l’arrogant visiteur, lui proposèrent de se remémorer ses moindre faits et gestes depuis cette singulière rencontre avec l’inconnu. Maître Leconte jura n’avoir dérogé en rien à ses habitudes sinon qu’un après-midi de ces derniers jours, il avait croisé sur son chemin un quidam dont il avait serré la main après que celui-ci lui eut tendu la sienne avec empressement, respect, obséquiosité même. En dépit de tous les moyens déployés par la science médicale, aucune amélioration de son état n’apporta le plus mince espoir que l’on put sauver le malade qui, le 7 octobre 1932, succombait à son mal mystérieux. C’est un jeune médecin fraîchement sorti de la faculté qui autopsia le cadavre comme l’avait réclamé, avec insistance d’ailleurs, Maître Leconte. L’exercice se révéla inutile. Il n’y avait rien de particulier à signaler.

À quelques jours de là, c’est le jeune médecin qui avait procédé à l’autopsie qui se retrouva cloué au lit, prostré dans un état de langueur identique à celui qui venait d’emporter Maître Leconte. On peut comprendre l’inquiétude de sa famille, de sa mère en particulier qui, sans tergiverser, avisa aux moyens à prendre pour sauver son fils que son entourage affolé donnait déjà pour perdu. Elle quitta la ville pour ne revenir que quelques jours plus tard en compagnie d’une paysanne ratatinée mais ferme sur ses jambes, une petite vieille au caractère déterminé et à la parole autoritaire. Apparemment très versée dans les vertus des plantes et le secret des élixirs, la dame décréta que, pendant toute la cure qu’elle allait entreprendre, seulement la mère du malade et elle-même auraient accès à la chambre qu’elle interdit résolument à qui que ce soit, parents, amis, ou visiteurs. Jour et nuit, pendant de longues semaines de veille, les deux femmes se relaieront au chevet du patient, lui appliquant les baumes salutaires, lui faisant boire des litres de décoctions diverses, bref, lui prodiguant les meilleurs soins que nécessitait son état.

Après des journées d’angoisse et d’incertitude, le malade commença enfin à prendre du mieux. Quand le convalescent montra assez de signes de vigueur pour que l’on ne doutât plus de sa guérison prochaine, la vieille dame réunit ses affaires et annonça son départ. «Mon garçon, dit-elle, en s’adressant à celui qu’elle venait de combler de ses attentions obligeantes, te voilà maintenant guéri. Cependant tu ne pourras pas rester plus longtemps dans cette ville et encore moins penser y faire ta vie. Il te faudra la quitter et ne jamais y revenir. Si, par malheur, ne serait-ce que pour une seule fois, tu y remettais les pieds, tu signerais là ton arrêt de mort, puisqu’alors ni moi ni personne ne pourrait te sauver.» Le jeune homme ne se fit pas tirer l’oreille. Il déménagea, alla s’installer dans une autre ville où il fonda une famille, fit carrière et prospéra… mais jamais plus il ne retourna au Cap-Haïtien.

Ces événements qui étaient connus de toute la génération qui nous a précédés sont à peu près ignorés par la nôtre et, quoiqu’ils puissent paraître un peu trop extraordinaires pour être vraisemblables, je puis assurer le lecteur qu’ils sont parfaitement authentiques. Si je me suis gardé de révéler l’identité du médecin dont j’ai rencontré les enfants et les petits-enfants, c’est pour des raisons évidentes de discrétion. Du reste, tous ces faits m’ont été rapportés par ma propre mère qui, je dois ici le rappeler, était la nièce de Vergniaud Leconte et aussi sa filleule.

Charles Dupuy coindelhistoire@gmail.com (514) 862-7185 / (450) 444-7185

* Maître Vergniaud Leconte est un écrivain dont le premier roman dramatique parut en 1901 : Le Roi Christophe. Deux autres œuvres historiques parurent successivement: en 1916 , Coulou et en 1917, Une princesse aborigène. En 1931, parut aux Éditions Berger-Levrault, son œuvre principale : Henri Christophe dans l’Histoire d’Haïti. (Wikipédia, Note de la rédaction)

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