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Numa Desroches: une vue du palais Sans-Souci (Gérald Alexis)

Culture - Numa Desroches (1802-1880), peintre, aurait vécu toute sa vie au Cap-Haïtien, sa ville natale. Il y aurait suivi des cours de dessin et de peinture et aurait été l’élève d’un nommé Revinchal, peintre du roi ou du peintre anglais Richard Evans. Ce dernier avait, entre autres missions, celle de réaliser le portrait du roi (voir Le Nouvelliste des 21 et 28 mai- 3 juin 2014). On peut supposer que Numa Desroches a peint ce tableau montrant le palais Sans-Souci et ses annexes entre 1815 et 1818. Il était adolescent alors, ce qui expliquerait les quelques maladresses qui font que ce tableau a été qualifié de «naïf».

En effet, comme chez beaucoup de naïfs, il y a un grand souci du détail. On peut noter aussi que le dessin est très élaboré. Même qu’il paraît être plus important que la couleur qui, elle, reste dans les tons doux. C’est aussi l’expression d’une remarquable maîtrise d’instruments géométriques qui dit la volonté du jeune artiste de développer sa vision dans l’espace, d’évoquer une situation spatiale avec des procédés graphiques. La grande difficulté à laquelle Numa Desroches eut à faire face est la contrainte de faire entrer les huit hectares qu’occupe le complexe résidentiel et gouvernemental à l’intérieur des limites du support, et ceci en tenant compte des moindres détails. On comprend pourquoi les structures bâties sont ainsi entassées.

Malgré cela, nous basant sur nos connaissances acquises, nous savons que, contrairement à ce que montre l’image, la grande barrière d’accès au palais n’est pas collée au grand escalier. En avant-plan, à droite, et tout au fond, l’environnement est signifié par un relief animé, un relief à la recherche d’un naturalisme qui est rendu par un jeu d’ombre et de lumière. Le rendu de l’espace n’est pas entièrement conforme aux normes académiques, c’est-à-dire aux notions de perspectives linéaires et aériennes. Il est évident que le palais proprement dit et les appartements royaux apparaissent comme les éléments les plus importants. Ils forment une sorte d’écran qui s’étend horizontalement sur presque toute la largeur de l’image englobant, et c’est important, l’espace jardin planté de ce fameux caïmitier au pied duquel le roi Henri Christophe rendait la justice.

Cette horizontalité peut être lue comme un symbole de stabilité. La vue du site est plongeante. Les annexes de l’avant-plan sont représentées selon des axes perçus comme une tentative d’adopter les principes de la perspective linéaire. Mais plus que cela, le rôle de ces axes semble être de conduire le regard vers la résidence royale. Parmi ces annexes, on note particulièrement la chapelle quelque peu mise en évidence avec son dôme. Les peintures contemporaines montrant le palais Sans-Souci sont toutes faites à partir de photographies. Mais, à l’époque de Numa Desroches, la photographie n’existait pas. Deux possibilités sont donc envisageables pour la réalisation de ce tableau : Il a été peint d’après nature, ce qui est fort peu probable, ou il a été peint d’après une image existante : cette gravure anonyme par exemple. Cela me semble le cas le plus plausible. En effet, l’observation des deux images côte à côte laisse voir la présence de certains éléments dans l’une et dans l’autre.

Il s’agit de cet élément triangulaire en avant-plan montrant un coin de l’environnement. Il s’agit encore de cette montagne aux flancs escarpés et de ces deux pics vers la gauche. Leurs positions sont les mêmes mais, bien entendu, il y a chez Desroches une certaine réinterprétation des formes. On voit aussi que, dans la gravure, le palais et ses annexes ne sont que des éléments du site naturel. Dans le tableau de Desroches, au contraire, l’environnement est secondaire et le sujet principal est le palais et ses annexes. Pour cela, l’ensemble est ramené en avant par rapport à sa position dans la gravure.

Compte tenu de toutes ces remarques, nous sommes en droit de penser que les intentions, ici, sont différentes de celles de la gravure. En effet, ce serait ce que l’on peut appeler une image de propagande. Tout concorde à la qualifier comme tel : Elle est réalisée dans le cadre de la cour. Plus complète dans sa description des lieux, elle serait créée après l’achèvement de l’ensemble des éléments bâtis. L’alphabétisation de la population n’étant pas encore généralisée, une image comme celle-ci représentait le support idéal pour dire avec une grande facilité ce lieu majestueux.

Les sujets du roi recevraient donc une telle image comme une réalité incontestée et incontestable : la grandeur de ce site qui, sous les ordres du roi, avait été aménagé. Pour renforcer l’aspect propagandiste de cette image, on peut imaginer qu’il en existe plusieurs copies puisque, actuellement, on en connaît deux versions (voir plus bas, note du 19 janvier 2024). Cela n‘aurait rien d’étonnant puisqu’il a existé au moins cinq exemplaires du portrait du roi Christophe par Richard Evans. Cette vue de Sans-Souci est donc une image de prestige, l’expression de la grandeur d’un homme.

Disons pour terminer qu’une telle image aurait pu être destinée également à des étrangers car, après tout, l’histoire nous dit qu’Henry Christophe roi avait voulu faire de ses ouvrages architecturaux la démonstration de la capacité de la race noire.

Gérald Alexis
, Publié dans Le Nouvelliste, 26-09-2016

NOTE : Ce vendredi 19 janvier 2024, ce tableau montrant le palais Sans-Souci et peint durant le règne d'Henry Christophe, a été vendu aux enchères, à New-York (Sotheby’s), pour environ 41,000 $. Maintenant entre des mains privées, ce tableau serait l’une des 3 versions connues de cette œuvre du peintre Numa Desroches (1802-1880).

Celui-ci aurait vécu toute sa vie au Cap-Henry, sa ville natale. Il aurait suivi des cours de dessin et de peinture avec les peintres Revinchal et Richard Evans. «Vue du Palais d’Henry Christophe à Sans-Souci» aurait été peinte entre 1815 et 1820 avant la mort du roi. Ce tableau nous donne une idée détaillée du palais en identifiant les différentes pièces et en nous montrant leur couleur d’origine.

Cette œuvre vieille de plus de 200 ans fait donc partie de notre patrimoine culturel et de l’héritage christophien. Une deuxième version serait conservée au Collège Saint-Louis de Gonzague à Port-au-Prince. Qu’en est-il de la troisième copie ?

Peinture haïtienne, Peinture, Numa Desroches, Richard Evans, Palais Sans Souci, Henry Christophe, Sotheby's