Cœurs-Unis des Artisans (Alex Bastien)
Ce serait une entreprise facile de pouvoir parler de la Société Cœurs-Unis des Artisans à partir de documents écrits, de confidences des membres de cette association dont les signes et symboles: truelle, marteau, équerre et autres outils d’ouvriers indiquent une parenté avec la franc-maçonnerie. Mais, malheureusement, archives et tableaux d’honneur ont disparu, les anciens membres sont décédés, et les derniers qui ont encore quelques renseignements ne sont plus en mesure de commenter. Ainsi, pour présenter l’histoire des Cœurs-Unis nous devrons examiner les faits et évènements capable de retracer son existence. En d’autres termes, revivre en esprit ses activités, chercher à interpréter les rares traces toujours visibles de l’édifice en maçonnerie utilisé discrètement par les membres eux-mêmes, et qu’ils avaient mis au service du quartier et de la ville. On pourra arriver à déceler ce que j’appelle l’essence de l’idée des Cœurs-Unis qui imprègne l’ambiance insolite vécue au cours des ans par des centaines de Capoises et de Capois qui pratiquaient, dans ce cadre, leur dévotion religieuse de la foi catholique romaine ainsi que leur volonté de s’entraider. Mais j’anticipe déjà sur mon récit, car le nom « Cœurs-Unis des Artisans » représente à la fois une confrérie, un local, un quartier et en fin de compte la démonstration d’un principe, une idée d’harmonie sociale.
La jeunesse capoise d’aujourd’hui n’a peut-être aucune idée de cette initiative qui me semble être une première dans notre pays. La société de secours mutuel paraît avoir été phagocytée par la chapelle catholique. Nous n’avons pas assez de renseignements pour traiter de ce volet, mais cela vaudrait la peine.
Alors accompagnez-moi dans ce voyage, une promenade dans l’espace et le temps…
Visitons maintenant l’ancien local de l’association.
Débutons notre randonnée au sud de la rue M, anciennement « rue de L’Ours » à l’époque coloniale. Ce nom est authentifié par une plaque scellée dans un mur, laquelle résiste vaillamment aux intempéries avec ses lettres à peine déchiffrables, comme pour dire: ici le passé perdure. Arrivé au carrefour de la rue Saint-Michel et de l’Ours (22-M) on voit sur la main droite au nord-est une maison en maçonnerie impressionnante, dotée d’une porte-cochère donnant sur la rue Saint-Michel (22) proprement dite, et de quatre à cinq portes sur sa façade de la rue de l’Ours (M). Cette rue loin de se prolonger, s’interrompt brusquement. Un haut mur l’empêche de traverser la ravine Belle-Hôtesse et nous épargne un saut vers le nouveau quartier de « La Boule » devant nous. « La Boule » un quartier tout opposé à celui du même nom à Port-au-Prince; tout comme le Bel-Air du Cap forme aussi l’antithèse en termes de classe sociale du Bel-Air de Port-au-Prince. Je pourrais poursuivre cette digression en mentionnant qu’au Cap, le soleil se lève sur la mer, tandis qu’à Port-au-Prince il s’y couche, de même les Cœurs-Unis de notre ville ne s’apparentent en aucune façon à des institutions appelées Cœurs-Unis , à Port-au-Prince, telle une coopérative en faillite, une école, une chorale et autres portant le même nom.
Grâce à ce mur, la rue fermée forme une impasse tranquille, avec à sa droite la maison basse à usage multiple qui nous intéresse. Au milieu de la rue s’étale une sorte de piédestal circulaire en ciment; une colonne est érigée en son centre, coiffée d’un buste du Président américain Franklin Delano Roosevelt. Ce monument perplexe a longtemps intrigué visiteurs et passants. Puis, un beau jour le buste tira sa révérence, détrôné par un sbire au plumage sombre du Docteur Président pour raison inconnue, suivant les bons mots du conteur Maurice Sixto, raison d’état peut-être…, qui sait?
Du côté gauche sur toute la longueur de la rue, au nord-ouest se trouve la maison bâtie par Me Léonce Bariento une légende du quartier des Cœurs-Unis. Lui, Marquez Valbrun, un administrateur de l’association, et Boss Paul Emile Laguerre, grand ébéniste et grand propriétaire foncier de la zone, ce dernier logeant dans une autre maison énorme au coin sud-ouest du carrefour 22 M, forment avec leurs familles un trio de notables incontestés du quartier. Des supputations non vérifiables leur attribuent la paternité de l’association « Cœurs-Unis des Artisans » et de son local, la bâtisse Cœurs-Unis.
Cette description géographique du milieu situe notre visite virtuelle aux environs des années 1962 « Cœurs-Unis des Artisans ». Cette construction de soixante-quinze pieds (25 m) de longueur avec ses portes multiples, subdivisée, transformée au cours des ans en chapelle catholique, école paroissiale, lieu de réunion des artisans, vrais responsables de l’édifice, antre ou bureau du Directeur des Artisans, dévoile de par son utilisation, l’intention bénévole et altruiste de ses gardiens. Ces activités hétéroclites apparemment antithétiques se poursuivent en toute fraternité, sans animosité, en toute indépendance pour le bien des habitants de la zone. On dirait que le nom Cœurs-Unis se veut être une devise inspirée qui encourage et démontre la vertu effective, les bienfaits réels dérivant de l’Union des cœurs par rapport à l’Union tout court qui fait la Force. Car cette union qui fait la force s’effrite quand les intérêts particuliers doivent départager le butin acquis. Leçon à méditer pour s’initier à la proposition d’entraide sociale envisagée par ces ouvriers, mettant leur bâtisse à la disposition de groupes orientés vers le secours des âmes et des esprits.
Poursuivons, donc, notre visite. De la rue non asphaltée, gravissant les deux marches d’une des portes de l’édifice, nous nous trouvons dans une chapelle; son plancher-dalle en mosaïque bien entretenu, une balustrade en béton à gauche sépare le sanctuaire où trône une statue de la Vierge Immaculée Conception, des bancs à peu près mis en cinq rangées clôturée à l’arrière, à droite par une cloison. On franchit une porte percée dans le mur d’en face, pour se trouver sur un grand couloir qui nous mène dans un grand espace ouvert au grand air. On peut le traverser soit pour franchir la ravine, soit pour visiter les différentes échoppes: d’ébéniste, de cordonnier, de petites marchandes, éparpillées çà et là. Et on pouvait même, à une certaine époque, reluquer l’office en plein air d’un hougan aimable qui voisinait la chapelle de la Vierge tendrement appelée
Le gratin de la zone ne manquait pas de fréquenter ce refuge de l’Immaculée Vierge Miraculeuse. Une voisine témoigne de la puissance de sa Vierge de « Cœurs-Unis des Artisans » : son petit garçon tardant à marcher pour son âge, elle implore son secours, sitôt après sa demande fervente, l’enfant se souleva pour faire ses premiers pas. Des patronnesses dévotes de haut acabit bien en vue dans la hiérarchie catholique et sociale venait, chaque 8 décembre, arranger la statue de la Vierge au matin pour la procession annuelle qui l’emmenait à l’église St. Joseph de la rue 19. L’anecdote suivante est véridique, ce fut avant mon temps, mais la source en est fiable. Un matin de procession la statue dans la rue sur un brancard, devint si lourde que personne ne pouvait la soulever. Grande panique parmi les pèlerins! Soudain l’une patronnesses se souvint que l’une d’entre elles, décédée dans l’année savait asperger et embaumer généreusement la Vierge avec le meilleur parfum, avant de prendre le départ. Vite fait; la statue maintenant toilettée et parfumée s’allège et la procession s’ébranle avec la fanfare militaire en tête. Au retour de la statue à la chapelle, on recevra la fanfare et les autorités locales avec une collation dans la maison d’en face sur la grande galerie interne de Maître Bariento.
En ses propres mots, je vous transmets le témoignage d’une participante à ce rituel annuel. « La procession, en effet, fut le prototype des Cœurs-Unis. Je me souviens quand à partir de mes treize ans, les gens de ma maisonnée joyeusement m’emmenaient aux processions de L’Immaculée des Cœurs-Unis. C’était formidable! Il pleuvait mais personne ne se souciait de la pluie diluvienne, même dépourvus de parapluie avec n’importe quoi sur la tête ou sans d’autre recours, les gens priaient. Ils priaient avec dévotion, grands et petits, riches et pauvres. Cette intensité de prière ne se voit maintenant que dans les fêtes de « Divine Mercy » à Stockbridge, Massachusetts où les prières de cœurs s’unissent solennellement. La différence existe dans l’accoutrement des fidèles. Chez nous, les fidèles ne se soucient pas de leur tenue vestimentaire. Parfois, ils venaient prier pour avoir non seulement de la nourriture, mais des habits, des chaussures, l’écolage, la santé pour les membres de leur famille, etc… Les personnes qui participaient à la réunion et aux processions Cœurs-Unis disaient qu’elles éprouvaient de l’empathie pour les autres qui vivaient à leur côté. Ces rencontres incitaient à la fraternité entre étrangers vivant sous le même toit ou non. Une sorte de solidarité invraisemblable en découlait pour le bien de tous ».
Outre cette procession de décembre une autre fête mariale amenait des torrents de pèlerins à la chapelle des
Dans notre promenade imaginaire nous remontons à l’époque où en regardant par-delà la troisième porte ouverte de l’immeuble on peut voir des bancs d’école. Adjacente à la chapelle, c’est l’école préparatoire de Madame Julien Jean-René. Une personnalité modèle du Cap, femme évoluée et guerrière, elle aimait les enfants et se dévouait à leur éducation classique et à leur apprendre les bonnes manières, rivalisant dans sa classe d’une chambre avec l’instruction offerte ailleurs. Infatigable malgré l’âge, debout devant le tableau noir, dirigeant les ânonnements des élèves elle persévère à communiquer à ces enfants de démunis des atouts pour améliorer leur futur, en parfait accord avec l’esprit civique et patriotique de l’association Cœurs-Unis. Car s’il s’agissait d’engranger des revenus l’association aurait pu louer cet espace à une autre affaire beaucoup plus rentable qu’une école. Généreuse, Man Julien à la fin de l’année scolaire ne manquait pas d’offrir des prix aux étudiants méritoires et donna même une année un prix d’assiduité à une petite voisine qui suivait chaque jour ses leçons du haut de son balcon, style « Sesame Street » haïtien.
Une autre école, celle de l’éducateur Monsieur Philoclès Charles qui habita pour un temps au quatrième angle sud-est du carrefour 22-M, partageait une section de l’édifice des
Nous nous trouvons maintenant dans la dernière pièce du bâtiment, l’antre de Monsieur Marquez Valbrun à l’époque administrateur de l’association « Cœurs-Unis des Artisans ». Je le croyais et bien d’autres gens aussi, être le membre fondateur et cerveau de cette noble entreprise de travailleurs réunis sous la protection de la Vierge, mettant en commun leur contribution en faisant de la bienfaisance dans le quartier, offrant le pain de l’instruction aux démunis et favorisant la fraternité chrétienne entre les diverses couches des habitants du Cap. Mais comme nous verrons plus tard la date de fondation de l’association est antérieure à sa tenure. Certains soirs du mois on voyait la lumière électrique filtrée des portes de l’église, on savait alors que les membres de l’association participaient à leur réunion secrète. J’utilise le terme antre pour décrire le bureau du directeur car un jour, admis à l’intérieur, j’ai vu son bureau couvert de piles de papiers, le sol aussi encombré d’appareils et de journaux. On rapporte que Monsieur Valbrun faisait profession de journaliste.
Je ne sais si mes propos épars au long de cette randonnée ont convaincu du bien nommé de l’association des « Cœurs-Unis des Artisans » mais ici s’achève notre promenade.
Que savons-nous de l’association « Cœurs-Unis des Artisans » (C.U.A.)?
L’historien capois, Dr. Marc Péan, auteur d’une série de trois tomes: Vingt-cinq Ans de Vie Capoise, 1890-1915 écrit dans le premier L’illusion Héroïque :
« L’Association Les Cœurs-Unis des Artisans connait alors de beaux jours. Fondée à la chute de Salnave, en 1870, pour amener la réconciliation des artisans que les luttes politiques avaient divisés à l’extrême, elle avait pu maintenir une présence haïtienne dans les métiers. Avec l’apport des jeunes qui y militaient à partir de 1890, un air nouveau y circulait. Cette association regroupait également de » modestes employés ». Du reste, aux travailleurs manuels se mêlaient des travailleurs intellectuels, des avocats […]. Ceux-ci assuraient en quelque sorte les relations publiques des Cœurs-Unis comme on disait. La fête des artisans, jour de la Saint-Joseph, donnait l’occasion de joyeuses agapes. À l’anniversaire de la fondation de l’association, le 9 décembre, les réjouissances n’étaient pas moindres. Le Réveil [journal capois] se fait souvent l’écho des réunions des Cœurs-Unis où l’artisan et le modeste employé se réunissaient pour glorifier le travail, pour s’aimer eux-mêmes dans le contentement de soi-même que le travail procure. » p.149
«... Elle [la société C.U.A.] fut fondée en 1870 par quelques hommes de métier de bonne volonté, dans le monde artisanal divisé outre mesure après la sanglante épopée de Sylvain Salnave. … » p. 102.
Qui furent ces hommes de métier. L’histoire a dû retenir leurs noms. Marc Péan a eu la chance de consulter des articles de Le Réveil [consacrés] aux Cœurs-Unis… Jules Auguste, le directeur de cette publication fut d’ailleurs l’un de ses présidents. … » L’historien dit aussi avoir consulté certaines de ses archives, grâce à l’obligeance de Mompremier Eyma en mai 1982. La Société Capoise d’Histoire et de Protection du Patrimoine pourrait avoir un rôle à jouer dans la conservation de ces archives.
Marc Péan poursuit:
« […] Naturellement la société naissante mit un bon bout de temps avant d’arriver à cette fin. Sans doute maçons, ébénistes, charpentiers de marine, tailleurs, orfèvres, cordonniers, couvreurs, etc … prirent l’habitude de se réunir en mettant entre parenthèse tout ce qui pouvait les opposer. […] Les rencontres mensuelles, les banquets annuels, les grands défilés à travers la ville le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, tout cela fut, peu à peu, institutionnalisé. D’ailleurs, dans les années 1880, la société des Cœurs-Unis disposait de son propre local. Par la suite, elle élargissait son audience et admettait parmi ses membres les petits et moyens employés de l’administration publique. De même que les commis des grands magasins. » Ibid.
Les rares renseignements que j’ai pu trouver confirment le caractère ouvrier de l’association. Jean Marquez Valbrun, un de ses anciens présidents, exalte la solidarité et l’entraide ouvrières dans une conférence prononcée au local des C.U.A. et qu’il a reproduite dans son livre: Les Réalisations, s.d. [sans date] xiv, p. 134. Il pose la question:
« Je me demande à quelle classe, à quelle vraie société appartenez-vous (sic)? » p.48. Il répond:
« À n’en pas douter, vous êtes des artisans, comme nous, puisque nous sommes ici, aux « Cœurs-Unis des Artisans », le berceau de nos prédécesseurs, il est de toute nécessité que vous y soyez aussi. … » Ibid.
« Ne remarquez-vous pas que vous êtes mis au rancart, considérés comme des boucs-émissaires en raison de votre isolement, de votre faiblesse et de votre désunion? Ce qui doit remonter votre prestige, vous enorgueillir et vous accréditer, soyez persuadés, c’est quand vous aurez l’avantage de partager, dans des circonstances éventuelles, la souffrance, la douleur, et le malheur de vos frères infortunés. » Ibid.
Ces remarques d’un temps écoulé demeurent valables encore aujourd’hui; elles s’appliquent à l’ensemble de la nation et offrent la solution à nos problèmes, l’union des cœurs. Il ajoute:
« D’une manière ou de l’autre, vous devez pouvoir être avec nous, afin de nous donner des conseils, d’unir nos talents, notre courage, notre science, de combiner plan sur plan, en vue d’une croisade que nous jugeons indispensable au seuil d’une ère nouvelle qui s’ouvre majestueusement sous l’égide de la Providence, et de rendre facile le problème de la vie humaine qui ne se résout que fort difficilement. » p.49.
Il semble aussi que dès les premiers temps de sa fondation la dévotion à l’Immaculée Conception occupait une place spéciale dans la vie de la société. Jean Marquez Valbrun le dit en s’adressant au public venu entendre sa conférence:
« Voulez-vous participer à notre coopération, appartenir à cette confrérie ou les cœurs se communiquent avec dévotion pour l’imploration de la Reine du Ciel, ineffablement par le regard pour le resserrement de leurs sentiments confraternels et harmonieusement pour le sauvetage des Artisans qui ne sont pas encore légitimés dans cette ambiance sociale? » p. 51.
L’historien, Laurent Dubois, dans son livre: « Haïti: The Aftershocks of History écrit:
« Firmin trouva un immense appui à la fois dans sa ville natale le Cap et dans d’autres villes à travers le pays. Les avocats et les instituteurs se tenaient fermement derrière lui, de même qu’une association d’artisans: maçons, constructeurs de canots, tailleurs, cordonniers s’appelant « la Société des Cœurs-Unis ». pp. 198 – 199 (traduction).
Pour ce paragraphe L. Dubois donne sa source: Marc Péan: L’Échec du Firminisme pp. 69 – 71, 81.
Ce texte nous renseigne sur l’orientation politique de « Cœurs-Unis des Artisans », sur son militantisme et sur son impact social puisqu’on peut interpréter son soutien comme un élément vital pour un candidat à la présidence, dans les années 1901 et 1902. Notez en passant que l’auteur ne mentionne pas la classe des gros bourgeois et des gros commerçants. Ceci renforce la noblesse de sentiments de ce groupe qui veut rassembler différentes couches sociales dans la ville de son local.
En plus de ses prises de positions quand la situation l’exigeait, la société C.U.A. semble avoir privilégié un certain côté d’entraide: une initiative bienvenue dans un pays ou les services sociaux n’existent pas. Un informateur, actuellement octogénaire, m’apprend que son père versait mensuellement une cotisation à une association dont le but était de secourir ses membres dans le besoin et surtout de leur assurer une sépulture décente après leur mort. Était-ce le « Cœurs-Unis des Artisans » ?
Combien de temps a duré cette initiative si originale? Mon informateur n’a pas pu me répondre.
La citation suivante est émise par l’association elle-même. Lors d’une dernière visite au local de cette association, devenue une chapelle catholique depuis qu’elle semble apparemment en veilleuse, j’ai vu une plaque incrustée au mur portant l’inscription suivante:
« Cœurs-Unis des Artisans 1870 – 1970 - Cap-Haïtien
But: Secours Mutuel
Comite du Centenaire: Michel Louis, Président;
Mompremier Eyma, Vice-Président;
Illisible, Secrétaire »
Le local des C.U.A., à l’occasion, se transformait en salle de conférence. M. Jean Marquez Valbrun y prononça plusieurs qu’il a publiées dans son livre Les Réalisations. Une chorale, sous sa direction, parce qu’il était aussi un musicien émérite, exécutait des chants lors des solennités.
Nous constatons, aussi, que le local de l’association porte le nom de « Cœurs-Unis des Artisans No. 1 » si proche de l’appellation des loges maçonniques. D’où la question: « Les C.U.A. étaient-ils une loge maçonnique? » Beaucoup de gens au Cap le pensaient. Jean Marquez Valbrun dans sa conférence parle du « Grand Architecte Universel », dénomination chère aux francs-maçons sous la forme de « Grand Architecte de l’Univers ». Les membres de la société pour beaucoup étaient des francs-maçons, mais l’association était officiellement affranchie de toute obédience.
Le local des C.U.A. pouvait, au besoin, servir de salon funéraire. Il est facile de comprendre cette autre fonction de ce local. En effet, l’association de secours mutuel s’occupait souvent de l’enterrement de ses membres.
Morisseau Lazarre dans un article intitulé: « Il s’appelait François Borgia Charlemagne Péralte (6ème partie) » trouvé sur la toile: « Après le départ des marines en 1934, plus précisément le 19 août 1934, Mme Masséna Péralte, la mère de Charlemagne Péralte, collecta les ossements de son fils sacrifié et crucifié pour les placer le 14 octobre 1934 dans la petite église des « Cœurs-Unis des Artisans » au Cap, où ils avaient été gardés nuit et jour par une multitude de personnes jusqu’au 25 novembre 1934. De là, ils furent transférés à la cathédrale de la métropole du Nord. […] puis inhumés au cimetière du Cap. »
On peut se demander pourquoi l’exposition des os de Charlemagne Péralte eut lieu « dans la petite église Cœurs-Unis » ? Parce qu’il fut, peut-être membre de la confrérie, et aussi que c’était, comme aime dire nos lettrés, « le petit peuple » des artisans qui l’avait soutenu dans sa lutte contre l’occupant, et beaucoup furent ses compagnons-soldats dans sa guerre contre les marines.
Il est aussi permis de croire que l’association C.U.A. avait assisté sa mère dans ses moments de désolation.
« Cœurs-Unis des Artisans » fut une confrérie de secours mutuel intégrant des ouvriers, des patrons de petites entreprises, des artisans. En dehors de son but premier de secours mutuel, elle élargit son champ d’activités dans les domaines culturel, éducationnel et fraternel.
En guise de conclusion, si maintenant dans le local « Cœurs-Unis des Artisans » d’antan il ne demeure qu’une chapelle, dûment intégrée à l’obédience catholique, je me permets d’affirmer suivant mes souvenirs, que la confrérie « C.U.A. » dans son essence et dans son existence pour tout le bien qu’elle a fourni aux diverses classes sociales du quartier et de la ville représente une idée vivante, un modèle pour chaque Capoise, chaque Capois, pour ne pas dire chaque Haïtien, se devrait de tendre à reproduire. Dans notre pays si débile socialement, une telle force permettrait à la mère Haïti et à ses enfants de s’entraider pour prospérer. Et alors à l’instar de l’anecdote sus citée chacun en parfumant et en embaumant sa statue, son image de la « Vierge » (représentant Haïti), verra la procession vers l’abondance et le bien-être pour tous, s’ébranler.
Note: Outre la neutralisation de la société propre, le lieu géographique invoqué a aussi changé pour le pire. Une vilaine brèche perce actuellement le mur protecteur qui créait l’impasse paisible. Cette bavure irréfléchie, comme un tonique hallucinatoire, a détruit le quartier cher à plus d’un.
Sources : Alex Bastien dans : Cap-Haïtien. Excursions dans le temps. Au fil de nos souvenirs, 1920-1995. Éditions Sanba, 2014.
Cœurs-Unis des Artisans, Monday, August 26, 2019