Note de la rédaction : Premier d'une série d'articles sur la vie actuelle des jeunes au Cap-Haïtien
Bien protégé par de solides montagnes et bordé à perte de vue par l’Océan Atlantique, mon Cap-Haitien est la deuxième ville d’Haïti. C’est une ville pleine d’histoire, de charmes, d’une élégance vertigineuse et son architecture expose délicatement son identité. Ma ville natale. Cap-Haitien, berceau de mon enfance, gardien de mes souvenirs les plus précieux.
Mon premier contact avec elle fut à ma naissance en l’an 2000. Intrigué par les récits légendaires de son passé, j’ai commencé très tôt à la découvrir. Petit garçon, elle me paraissait immense. Mes yeux ne voyaient que ses si larges rues et ses bâtis pédants. Durant les premières années de mon enfance, les rues de la ville étaient d’une douceur et d’une tranquillité apaisante. Elle avait tout pour plaire à chaque Capois, moi y compris.
Ma maison se trouve dans une petite ruelle timide de la rue 16 F. Elle est faite et recouverte de briques comme la plupart des anciennes maisons du centre-ville depuis le séisme de 1842. Elle est très ancienne mais elle se tient encore droite et élégante. D’après mes parents, j’avais tout juste un an lorsque ma mère décide de s’y installer.
Après la maternelle, mes parents ont fait le choix d’une école de référence pour m’assurer une excellente scolarisation. De ce fait, j’ai été durant 13 ans, élève à l’école Saint-Joseph du Cap Haitien. Comme beaucoup d’écoles congréganistes, un établissement occupant au centre-ville un vaste terrain, qui s’étend de la rue 17 à la rue 19 entre les rues L et Q. Je me souviens de ces matinées d’écoles où la ville se rajeunissait et s’illuminait avec tant de couleurs d’uniformes sur lesquelles brillaient les premiers rayons du soleil. Une véritable beauté !
Maintenant je suis étudiant en 2e année de gestion dans la première université de la ville, la Faculté de droit, des sciences économiques et de gestion du Cap-Haitien. Pour moi, c’était une expérience à la fois nouvelle mais décevante ! Elle était nouvelle car je commençais à peine à m’adapter au système universitaire, qui partout dans le monde, est très exigeant. Du même coup, j’étais honteusement déçu de voir l’état de dégradation de cette ancienne université d’État alors que d’autres universités d’État sont beaucoup plus équipées et mieux structurées.
Le premier club qui a contribué à ma socialisation a été le « Interact Club». On se réunissait tous les vendredis après la classe. Au cours des réunions, on partageait des opinions, sur des idées, discussions sur des sujets tabous et à la fin, jouait à des jeux de société. Plus tard j’ai intégré FOKAL (Fondasyon Konesans ak libete) ; c’est un club basé sur les méthodes et techniques de débat. Avec eux, j’ai pu améliorer mes prises de parole en public et la manière d’argumenter. À ma dernière année à l’école, j’ai été le manager de MéloFIC, le groupe musical de l’école, avec lequel on a pu produire une démo musicale. Jusqu’à présent, je suis membre responsable du MEJ-Nord.
Raconter ma vie dans cette ville me prendrait beaucoup trop temps car j’y ai toujours vécu. Mais je chéris encore les bons moments passés dans mon quartier, avec la famille et les amis, dans les hauteurs de Stella Maris où je peux me détendre avec le bleu de la mer, son odeur, ma musique et mes émotions.
Cette ville côtière étant la capitale touristique du pays, on ne cesse de louer son charme et la place qu’elle accorde à l’art et à la culture haïtienne. Des centaines de produits artisanaux et de beaux tableaux de l’art naïf sont exposés quotidiennement au marché des touristes. J’ai eu moi-même la chance de contribuer en août dernier à l’organisation d’une exposition de produits locaux réalisés par des jeunes ayant créé leur propre entreprise. Cela s’est déroulé du 14 au 16 août 2020 sur le Boulevard et plus d’une trentaine d’entreprises y participaient.
Ces dernières années, différents groupes de jeunes essaient tant bien que mal de redynamiser l’aspect socioculturel de la ville. Passionné de ma culture, je ne saurais compter les nombreuses activités culturelles auxquelles j’ai assisté, que ce soit à l’Alliance française du Cap pour le festival de théâtre, au centre culturel Jacques-Stephen Alexis avec le Sommet annuel des droits humains, dans les locaux de la Société de Samedi soir en novembre pour la fèt lang ak kilti kreyol, dans les rues pour la fête de la musique et j’en passe.
En juillet 2020, j’ai rejoint un groupe travaillant dans l’évènementielle Sensas Event, dans le but d’organiser un concert de jazz pour le plaisir des mélomanes capois titré JazzOkap. Après des semaines de travail, on a produit ce concert en septembre de cette même année avec la participation de CEMUCHCA, de Jazz and Family trio et Haïti Danse Art. Un concert de trois heures de temps, sur le podium de Lakou Breda, en plein air, animait doucement les amants du jazz présent pour cette première à Cap-Haitien. Une soirée des plus agréables !
La réussite de cette activité a vraiment marqué le jeune organisateur fougueux que je suis. J’ai toujours aimé le dynamisme, la pression et l’agitation quand on organise un évènement mais ce soir-là, j’ai brisé des limites que je ne voyais ni ne connaissais.
De toutes les villes d’Haïti, le Cap-Haitien est celle qui met toujours l’accent sur les dates et les périodes de fête importantes en organisant de grandes cérémonies commémoratives, de beaux défilés artistiques et les parades de différents fanfares qui font résonner au plus haut point notre haïtianité.
Cette ville fait tout pour attacher notre âme à notre identité et sur les raisons pour lesquelles nous devons garder l’espoir en l’avenir. Ma jeunesse dans cette ville m’a permis de m’ouvrir et de m’épanouir sur certains points, j’en suis heureux. Il faut tout de même dire que les opportunités offertes aux jeunes sont restreintes.
Le Cap-Haitien a été témoin de grands moments de l’histoire d’Haïti, des Capois et du peuple noir. Par le passé, cette ville a été détruite plusieurs fois par séisme ou par stratégie politique. À chaque fois, avec espoir et détermination, elle a su renaître de ses cendres. Aujourd’hui, il est facile de ressentir de la déception et du dégoût face à la négligence et l’incurie des autorités qui déguisent grotesquement l’image et la réputation de la ville. Mais les jours passent et nous nous devons de rester debout, d’être solide comme nos montagnes et tout comme notre mer, de chercher à voir l’horizon. Il y a toujours de l’espoir plus loin, il faut seulement être courageux et patient.
Source : Joseph Guerwintz, février 2021.