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Vie Quotidienne

Cap Quoi ? (Schebna Bazile)

Je ne suis pas née au Cap. Mais c’est la ville qui me connait le mieux. Non, ce serait mentir si je prétendais la connaître. Elle n’est pourtant pas si grande. Oh, non même pas un peu. « Yon plat a men ». Pourtant je triche quand je traverse d’une rue à une autre. Plus de 20 ans dans cette ville et je surveille encore les écriteaux aux coins de rue pour me retrouver de temps en temps. Parce que c’est tellement facile de s’y perdre ! En tout cas, pour les gens comme moi, avec plein d’images à capter et tout plein d’histoires à recréer; c’est troublant comme cette ville peut submerger. Je n’arrive pas à pointer une raison à ce fait. L’architecture ? Les couleurs ? Les gens? Un peu de tout ça à la fois ? Avec, de plus, ce je-ne-sais-quoi qui fait que je ne m’habitue jamais assez.

La ville, elle, elle me connaît. Elle m’a vue grandir. Elle a surement dû jouer sa partition pour que je devienne celle que je suis aujourd’hui, une amante de plume et de scène, un agent culturel, et – surtout – une grande rêveuse. Sûrement. Il n’y a que comme ça que je pourrais justifier pourquoi je rêve d’elle aussi souvent.

Je suis de cette génération qui n’a pas eu la grande opportunité de vivre le Cap « Paris de Saint-Domingue » ni celui nommé « deuxième ville du pays » ou peu importe le titre qui a dû subsister au-delà des mérites. Ça aussi, ça pourrait expliquer pourquoi je me perds si souvent en pleine rue.

J’imagine cette ville à la hauteur des noms qu’elle a pu porter. Je m’égare en plaçant dans ma tête un théâtre, par exemple. Avec les proportions standards. Une grande salle de cinéma digne des « gens du Nord ». Un parc d’attraction, une salle de sport, un supermarché, des centres d’excursion, des bars – oh non, ceux que nous avons à revendre ne tiennent pas si c’est pour avoir les mêmes menus, mêmes playlists, mêmes ambiances à chaque fois. Des coins-cultures, une grande bibliothèque, des prétextes pour garder la ville en vie, vous voyez ?

Et de quoi recevoir nos jeunes qui ne demandent qu’à produire. Oui, ces jeunes existent ! La semaine dernière encore, je me suis frottée à plus de 250 têtes suspendues devant une salle pouvant à peine accueillir une centaine, toutes après une pièce de théâtre. C’est « La tragédie du Roi Christophe » qui était sur scène. Ironique, non ? À en pleurer.

Pourtant les grandes personnes, dès qu’elles prennent la parole, elles se tordent le visage pour prétendre que « les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas intéressés aux choses de l’esprit ».

Faux !

Faux !

Et je le crie sur tous les toits que je trouve !

Elles ne savent rien des « jeunes d’aujourd’hui ». Elles ne nous parlent pas. Et quand nous, nous parlons, elles ne nous écoutent pas. Occupées à monter pompe à essence après pompe à essence, à se disputer les grands sièges publics, à jouer à cache-cache quand nous soumettons nos projets de développement personnel ou politique de jeunesse. Quand elles ne nous les volent pas, ces projets là…

J’ai d’abord écrit ce texte en créole. C’est vite parti en vrille. Mon père aime à me dire « Scheb, ce que tu dis peut se révéler moins important que comment tu le dis ».

J’ai la voix d’un enfant qui pleurniche quand je parle de ce qui me tient à cœur. Et là, j’ai les mains qui tremblent. Mais je ne vais rien réécrire, cette fois. Ni m’excuser. Ni même ajouter ce texte à un tiroir comme je le fais souvent. Jouer au « non-créole » devrait suffire. Sinon tant pis. Des rêves, des plans, des projections, je ne suis pas la seule à en avoir jusqu’à m’entremêler les jambes à chaque pas dans ces rues. Je ne suis pas la seule à forcer sur la manche, avec des spectacles, des rassemblements, des séances de formation, des manifestations culturelles… tout ça pour revenir au grand vide. Un grand vide !

Voilà comment je décrirais la ville du Cap quand certains groupes (avec plus de volonté que de moyens) ne tentent de ramer à contre-courant.

Il serait peut-être temps de changer la donne.

Schebna Bazile
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