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Littérature

Christian Werleigh (Louis J Auguste, MD, MPH)

J’ai grandi dans une famille où le nom de Christian Werleigh se répétait presque chaque jour, si ce n’était pas plusieurs fois par jour. C’était à propos de la forme de sa tête, son regard, ses aventures amoureuses, ses petites habitudes drôles, etc… Ce n’était pas étonnant, puisqu’au sein de ma sphère familiale élargie, ma tante, Yvette Werleigh était sa sœur et ma grand-mère et plus tard mes parents avaient pris en charge d’élever mon cousin, René Werleigh, devenu orphelin à la suite de la mort de son père. Ce n’est que plus tard quand je devais participer aux célébrations de la fête du drapeau haïtien, le 18 mai de chaque année et que les écoliers, toujours espiègles, entonnaient le « Salubodra » que j’apprenais que les paroles et la musique de l’Hymne au Drapeau Haïtien, intitulé « Salut Beau Drapeau de Vertières » avaient été composées par nul autre que mon oncle Christian Werleigh. Cet hymne était fort souvent interprété également par les orchestres de l’Armée d’Haïti, non seulement au Cap-Haitien, mais aussi à Port-au-Prince. C’était une épiphanie. C’était comme si j’avais grandi à l’ombre d’un arbre géant sans jamais lever la tête et en regarder la cime. Maintenant il fallait savoir davantage de ce caractère, à la fois familier et à la fois inconnu, méconnu ou pour le moins mystérieux.

Christian Werleigh est né le 18 septembre 1896, enfant naturel de Georges Werleigh et d’Elizabeth Samson Moreau. Son père était un pasteur anglican originaire des Antilles anglaises qui avait immigré en Haïti pour trouver un emploi comme comptable dans une compagnie de chemin de fer qui travaillait dans le Nord. Il est élevé par sa mère qui elle-même est une descendante de Jean-Jules Jean-Gilles qui était venu de l’Artibonite travailler dans le Royaume du Nord. Son éducation primaire et secondaire est faite littéralement à l’ombre de la Citadelle Laferrière, perchée au sommet du Bonnet-à-L’Evêque et à quelques kilomètres de Vertières où se livra la dernière bataille de la guerre de l’Indépendance et où nos aïeux se distinguèrent si vaillamment. Le jeune Christian a donc sucé dès son jeune âge cette sève patriotique, génératrice de cette fierté christophienne, inhérente à tout citoyen du Cap-Haitien ou du Nord d’Haïti, digne de ce nom.

C’est pendant son passage sur les bancs du Lycée Philippe-Guerrier qu’il acquit le goût de la poésie et de la musique. Comme tout adolescent, il composa des strophes pour ses amours, sa patrie, son poète concitoyen Oswald Durand. Au terme de ses brillantes études au Lycée Philippe-Guerrier, il fut invité à passer du banc à la chaire de professeur au même établissement, ce qui n‘était pas rare à l’époque puisque nous retrouvons Oswald Durand professeur d’école et même directeur d’école sans avoir bouclé son cycle d’études secondaires. Bref, les circonstances ont voulu qu’il se trouvât en compagnie de deux autres membres illustres du corps professoral, Luc Grimard et Louis Mercier. Ces trois mousquetaires devaient pendant plus de 30 ans marquer d’un sceau indélébile toutes les générations de lycéens qui allaient passer sous leur tutelle. Christian utilisa ses talents de poète et de musicien pour composer des hymnes pour toutes les occasions, toujours pour stimuler à l’étude et pour exciter la fibre patriotique dans le cœur de tous les adolescents dont l’éducation lui avait été confiée. Luc Grimard, lui aussi poète nationaliste et Louis Mercier, passionné de l’ère christophienne, de l’Histoire d’Haïti et de l’Histoire des Noirs dans le monde, apologiste de la Citadelle Laferrière et directeur de l’institution, complétait le trio. Soixante ans plus tard, les élèves d’alors sont devenus les politiciens, les intellectuels, les enseignants d’aujourd’hui qui à leur tour, ont marqué les générations suivantes. Soixante ans plus tard, les survivants se souviennent des hymnes entonnés chaque matin sur la cour du Lycée Philippe-Guerrier et le vendredi après-midi à la fin de la semaine. Ils éprouvent toujours un frémissement inexplicable, un sourire nostalgique quand ce souvenir est évoqué.

Le message était simple, mais oh ! Combien puissant ! La patrie haïtienne avait été conquise à la sueur des esclaves africains et au prix du sang de nos aïeux, pour donner à tout Haïtien un sol dont ils seraient les seuls maitres. Il s’impose à tout Haïtien la tâche de toujours faire de son mieux, de travailler à préserver et à renforcer ce patrimoine, contre toute force étrangère, pour les générations à venir.

Voila qu’en 1915, les bottes yankees viennent souiller l’héritage de nos ancêtres. Le poète n’a pas encore 20 ans. Il admire et exalte les guérilleros, Charlemagne Péralte et Benoit Batraville. Il exprime sa colère et sa souffrance dans ses poèmes. Ces poèmes d’indignation et d’exhortation écrits tout au long de cette période pénible, constitueront le gros de son recueil, « Le palmiste dans l’ouragan » publié en 1933. Son opposition à l’Occupation Américaine sera constante jusqu'à sa fin en 1934. Alors pour lui ce sera la joie et le regain de sa fierté nationale. La célébration de cet orgueil de patriote se lit clairement à travers les lignes des poèmes de son second recueil « Le palmiste dans la lumière » publié en 1938.

Christian Werleigh ne brigua jamais d’emploi en dehors de l’éducation. Toujours un fervent de la muse, il publia en 1940, « Ma ville, Mon pays. » Il continua à militer dans l’enseignement, dont il avait fait un sacerdoce, jusqu'à sa mort survenue prématurément le 27 mai 1945. Il n’avait que 48 ans.

Plus tard, au cours de mon cycle secondaire, alors que s’esquissait la Littérature haïtienne comme sujet d’études au coté de la Littérature Française, j’eus l’opportunité d’apprécier ce que les critiques pensaient de son œuvre. Fardin, après une longue dissertation sur Léon Laleau, ne lui consacre qu’un paragraphe, sous la rubrique « Autres poètes de la première étape. » Sous cette rubrique, il classe à part Christian Werleigh, Victor Mangones, Walter Sansaricq, Etienne Bourand, Gervais Jastram, Marcel Dauphin, Fernand Martineau, Louis Duplessis-Louverture, Frédéric Burr-Reynaud, Duraciné Vaval et Luc Grimard. Il caractérise leurs talents comme variés et discutables et « regrette qu’ils n’aient pas suivi les directives du Dr. Jean-Price Mars ». Fardin ne savait pas que les membres de l’école indigéniste et les Griots connaissaient bien l’œuvre de Werleigh. Au hasard d’une rencontre entre la fille de Christian Werleigh, Georgette avec le Président François Duvalier, celui-ci lui rappela comment le poème de son père intitulé «Défilée» avait gagné le premier prix à un concours de poésie patriotique. Il discuta aussi avec Georgette du dernier recueil de son père, « Ma Ville, Mon Pays ».

Le Frère Berrou et le Dr. Pradel Pompilus, de leur coté, trouvent qu’ « en son œuvre, éclatent des vers héroïques mais qui donnent l’impression du déjà lu… (car)… Christian Werleigh n’a pas su renouveler son chant patriotique.» Néanmoins, ils reconnaissent que ses «deux recueils essentiels… témoignent d’un amour profond de la Patrie, d’un amour proprement charnel, fait d’attachement, d’admiration et de confiance. Ils valent par là et sans doute, plus que par l’art ou la poésie vraie de l’illustre Capois.»

Fardin commet souvent l’erreur de n’apprécier que les œuvres émanant des cercles littéraires et des courants culturels de Port-au-Prince et peut-être de Jérémie, dénommée à juste titre la Cité des Poètes. Bien que Jean-Price Mars soit originaire de la Grande-Rivière du Nord, il a milité surtout à Port-au-Prince où il a d’abord étudié la Médecine, il a milité dans la politique et a servi comme sénateur de la république et candidat à la présidence, aussi bien qu’ambassadeur d’Haïti à Paris. Cependant, pour tous ces jeunes citoyens qui ont été inspirés, motivés et stimulés à faire de leur mieux, à aimer leur patrie et à préserver notre héritage sacré, la contribution de ce trio de Werleigh, Mercier et Grimard est inestimable. Leur aspiration est loin d’être différente de celle des Indigénistes ou des Griots. Dans l’ouragan que connait Haïti depuis son indépendance, vaut-il mieux être une tour d’ivoire qui éblouit ou un phare qui illumine la voie des futures générations ?

Nous prenons plaisir à reproduire un poème tiré du « Palmiste dans l’ouragan », l’Hymne au Drapeau et les hymnes créés pour les lycéens du Cap-Haitien.


La complainte du vieux Samba (Tiré du Palmiste dans l’ouragan)

Ah ! Ne nous parlez pas

De nos anciens combats

L’Histoire aura menti :

Nous sommes les damnés de l’enfer d’Haïti


Notre gloire fut usurpée ;

Ne dites rien de l’Epopée

Si la peur est une vertu :

Nous sommes des vaincus qui n’ont pas combattu


Ne nous rappelez pas

Durant notre repas,

Un orgueil cravaché :

Nous sommes des martyrs qui n’avons pas péché


Mais peut-être dans la nuit noire

Un jour, Dieu montrera la gloire

A tous ces cœurs las de souffrir

Nous serons des héros si nous savons mourir.


Hymne au Drapeau (Paroles et Musique de Christian Werleigh)

Salut beau drapeau de Vertières

Saint Emblème de l’union

Inspirez-nous couleurs altières

De Dessalines et de Pétion


En ce grand jour de notre histoire

Le Dix-huit mai mille huit cent-trois

Tu parus pour guider nos droits

Vers le Soleil de la Victoire


Et le maitre vit en tremblant

Annonçant la nouvelle aurore

Son bel étendard tricolore

Surgir amoindri de son blanc.


Devant le drapeau de Vertières

Qui nous rappelle à l’union

Inspirez-nous couleurs altières

De Dessalines et de Pétion.


Hymne des Lycéens (Paroles et Musique de Christian Werleigh)

Lycéens, Travaillons

Travaillons sans trêve

Les yeux pleins de rayons

Portons un grand rêve.


Il nous faudra tout savoir

De notre devoir

Le sublime du pouvoir l’histoire flétrie

Dans la gloire du drapeau

À la place de notre peau

Il nous faudra mourir

Patrie !


Lycéens, Travaillons

Travaillons sans trêve

Les yeux pleins de rayons

Portons un grand rêve.


La semaine est finie… (Paroles et musique de Christian Werleigh)


La semaine est finie

Et la tâche fut belle

Gloire à toi qui bénis

Nos travaux

Car tu fis la science rebelle

Pour forger et fleurir

Nos cœurs et nos cerveaux

Oui mon Dieu

Notre vie est plus belle

Quand ta main

A béni nos travaux.


Louis J. Auguste
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