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Haïti Sailing Cup : un exemple de responsabilité populationnelle (Lita Béliard)

L'idée de l'Haïti Sailing Cup (HSC) est née du constat d'un manque d'approvisionnement en fruits de mer pour les hôtels locaux, comme l'Habitation Jouissant. Les pêcheurs de la région ne possèdent pas l'équipement nécessaire pour atteindre des zones éloignées, limitant leur capacité à fournir des poissons et des crustacés frais tout au long de l'année. La pêche reste donc saisonnière, dépendant de la proximité des poissons au littoral, ce qui restreint l'offre pour les établissements touristiques.

L’idée de la création de Haïti Sailing Cup (HSC) a germé un matin, quand un des employés de l’Habitation Jouissant apprend à son patron qu’il est dans l’impossibilité de répondre au désir d’un groupe de clients qui souhaite avoir des fruits de mer au souper : impossible de trouver du homard ou des poissons frais dans la région. La raison est simple, les pêcheurs ne sont pas équipés, leurs canaux rudimentaires à voile ne leur permettent pas d’aller dans des zones éloignées pour s’apprivoiser en quantité suffisante et alimenter les hôtels de la région tout au long de l’année. La pêche ne dure qu’un temps limité; quand les poissons se rapprochent du littoral.

Habitation Jouissant est un hôtel qui fait partie des actifs de Fatima Group, une entreprise propriété d’une famille capoise qui a toujours démontré son nationalisme. Face à ce problème, l’entreprise aurait pu signer un contrat avec son voisin, la République Dominicaine, pour lui fournir les fruits de mer. Les propriétaires de Fatima Group n’ont jamais eu peur d’innover, ils cherchent toujours des nouvelles opportunités pour s’agrandir tout en créant des occasions de développement économique pour la Région Nord. C’est ainsi que pour résoudre le problème, Fatima Group a opté pour une solution locale.

Le responsable du volet touristique de Fatima Group, capois d’origine, est un entrepreneur qui a fait ses études universitaires aux États-Unis et après y avoir vécu plus de 15 ans, décide de s’établir dans son milieu natal. Il arrive donc avec une conception en affaires à l’occidentale. Il perçoit le groupe de pêcheurs comme un partenaire dans le domaine touristique. « Puisque c’est un des éléments qui va permettre de satisfaire la clientèle, donc accompagnons-les pour les rendre productifs », se dit-il. Voilà l’objectif initial qui a amené la création de Haïti Sailing Cup .

La réalité l’a vite rattrapé, sa vision du partenariat qui présente une approche d’égal à égal entre 2 entités ne colle pas à la réalité de la culture du pays, il doit s’ajuster. Des problèmes de communication et d’interprétation de ses intentions surgissent dès le premier contact avec les pêcheurs. On lui prête toutes sortes d’intention, on pense que son projet est de briguer un poste au gouvernement : sénateur ou même président, il est à la recherche d’alliés. D’autres restent convaincus qu’il utilise l’argent du trésor public ou d’un ONG, il garde une grande partie pour ses besoins personnels et distribue une miette. Le niveau de l’accueil à son intervention était influencé par cette perception erronée, aussi pour garantir la participation des pêcheurs à la première course, il fallait les payer comme un employé qui exécute une tâche.

Haïti Sailing Cup : C’est un mouvement social qui se manifeste par des activités culturelles gratuites ouvertes au grand public dont l’objectif est d’aider les pêcheurs de la région Nord d’Haïti à améliorer leur capacité de pêche. Une course de canaux à voile mettant en compétition des pêcheurs est le point culminant et le prix à gagner est un moteur hors-bord de 15 Chevaux.

Le premier défilé a eu lieu en 2014 avec peu de collaborateur, Fatima Group était le commanditaire principal. Les difficultés rencontrées semblaient insurmontables, il fallait non seulement convaincre les pêcheurs que cette activité est dans leur intérêt, mais également gérer les conflits entre eux, leur apprendre à travailler ensemble en toute collégialité et même dicter le comportement à avoir quand on est perdant. Dans une course, il n’y a pas que des gagnants; quand on perd, il faut l’accepter et rester respectueux envers son adversaire; concept difficile à intégrer.

Au début tout le monde reste sceptique, on invite le gestionnaire à mettre fin à son initiative, sa vie est même en danger, il risque gros pour un projet que même les bénéficiaires mettent en doute en le percevant comme un corrupteur prenant avantage de leur situation. « Pourquoi quelqu’un dépenserait autant d’énergie pour des gens qu’il ne connait même pas et en plus dépenser son propre argent sans rien en retour? » C’est l’interrogation de la population. Le bénévolat n’est pas développé dans la culture haïtienne, on retrouve plutôt une culture de Konbit et la différence entre ces deux approches est énorme. Dans le Konbit, l’action se situe dans un court laps de temps, il y a un début et une fin, on ne retrouve pas d’engagement social et les participants partagent déjà des intérêts communs.

« Le bénévolat, est une action signifiante résultant du don de son temps, de son savoir et de ses habiletés, sans attente de rémunération. On retrouve toujours au cœur du bénévolat les notions de gratuité, de liberté et d’engagement social… Le bénévolat, c’est avant tout une histoire d’amour pour soi et pour l’autre. Une histoire où on se fait du bien en faisant le bien »(1).

« Konbit est une forme d’organisation traditionnelle du travail construite autour d’une philosophie basée sur les socles de l’entraide et du vivre-ensemble des paysans. C’est un espace où le paysan se dépouille de tous ses intérêts personnels pour aller prêter main forte à l’autre. Ceux qui participent à un Konbit ne sont pas rémunérés. Ils sont plutôt motivés par la fierté d’aider leur voisin. Ce voisin lui rendra la pareille au moment opportun... l’organisateur du Konbit peut à sa guise offrir quelque chose comme compensation, mais l’essence du Konbit est le service »(2).

La pression est forte pour mettre fin à cette approche de bénévolat dont personne ne saisit la logique. Esprit têtu, ce gestionnaire continue son implication, il se dit « les pêcheurs réagissent suivant leur expérience, s’ils avaient l’habitude de fonctionner avec des gens honnêtes, ils auraient un autre comportement, c’est à nous de défaire cette mentalité et de les mettre en confiance ». Pour lui, ce n’est plus une question d’approvisionnement en fruits de mer, c’est un challenge :

  • Jusqu’où on peut aller dans l’éducation des pêcheurs?
  • Combien de temps que cela va prendre?
  • Va-t-on atteindre notre objectif?

Ce philanthrope est stimulé par ces trois questions. Épaulé par un ami d’enfance ayant le même parcours que lui, de retour en Haïti, les deux foncent tête baissée dans le projet et décident de contourner toutes les embûches. Avec ou sans consentement des pêcheurs, ils décident de les accompagner vers l’autonomie comme un jeune adolescent qu’on encadre pour devenir un adulte responsable. Cependant les obstacles sont tels qu’au cours des 5 premières années, le doute subsiste chaque année sur la continuation.

Les premières années, les activités se déroulent seulement au Cap-Haïtien, visant comme bénéficiaires les pêcheurs de Rival, un secteur de la ville du Cap-Haïtien. C’est seulement après 7 ans de travail ardu avec l’équipe de Rival que les échanges et les multiples réunions avec ces pêcheurs ont porté fruits, les doutes sur l’agenda caché de l’entrepreneur commencant à se dissiper. Devant le succès de la démarche, les pêcheurs des autres secteurs de la Région Nord qui observaient de loin, commencent à réclamer leur part. En 2021, HSC a connu une expansion en intégrant les pêcheurs de Labadee; ce fut un succès. Par la suite, Caracol réclame sa participation; avec une réponse positive, ce secteur a participé au défilé en 2023. La réussite des activités de HSC entraine un tel engouement que maintenant tous veulent s’intégrer. L’organisation du milieu local et la formation préalable des pêcheurs nécessitent une préparation, c’est la raison pour laquelle on ne peut pas répondre à tous les secteurs en même temps. Pour la dixième édition, il y aura deux nouveaux joueurs : Fort-Liberté et Limonade; en espérant étendre l’expérience à tous les secteurs qui le désirent.

HSC est un travail d’équipe. Ses activités ne seraient pas accomplies sans l’implication de différents acteurs de la société, chacun à leur manière contribuant au succès de HSC.

L’engagement majeur des commanditaires reste la pierre angulaire. La principale source de financement provient des entreprises nationales (privé et à but non lucratif), par leur don versé régulièrement, ces entreprises s’allient à HSC pour favoriser l’essor des pêcheurs. Un gros merci à ces donateurs:

  • APN, BNC, Fatima Group, RJ Construction, Lea Trading, Lissa Loto, Marien Shipping, Haiti Shipping Cargo, DEKA Group, Prestige Ship Services, International Ship Agency, Valerio Canez, Total Shipping, Okap Lakayanm, Team Una, Sakapfet Okap, Caracol Villas, GWOG, KP Logistics.

Le partage et l’entraide communautaire font partie des valeurs de ces entreprises, ce sont des hommes et femmes d’affaires qui croient fermement qu’il est important d’investir dans la communauté, leur don représente leur contribution pour une société plus solidaire. Seul Fatima Group ne pourrait supporter HSC dans son développement, c’est l’exemple frappant qu’ensemble nous pouvons bâtir l’avenir d’une société innovante et prospère.

De plus, l’encadrement des autorités facilite l’actualisation : La permission de l’évènement par la Mairie, le renforcement de la sécurité des lieux par l’ajout d’effectifs de surveillance par la Police Nationale et l’implication de Politour, l’encadrement des organisateurs de HSC par la Protection Civile, le Centre Ambulancier National (CAN) et des Pompiers qui rassurent la population. Pour la 10ème édition, l’Hôpital Notre-Dame-du-Nord s'est joint à l’équipe de vigilance, prêt à répondre à toutes urgences dans l’assistance. Ce sont toutes des actions qui encouragent la participation et indispensables à la réussite de HSC. HSC se déroule sur une base hebdomadaire (tous les dimanches), pour une durée de 3 mois (août, septembre, octobre); pour la 10ème édition en 2024, ces activités ont permis d’embaucher 20 employés dans des emplois contractuels et mobiliser 50 bénévoles (avant on gratifiait tous les prestataires de services) qui se dévouent pour faire vivre la meilleure expérience qui soit à la population.

Depuis sa création, HSC a soutenu les pêcheurs par la fourniture de voiles recyclées pour 90 canots et a donné 95 moteurs. Pour la 10ième saison, HSC remettra 13 moteurs de 15 chevaux pour les courses régulières, en plus d’un moteur de 25 chevaux pour la grande finale. Depuis ces 3 dernières années, HSC connait une expansion phénoménale. Tout en gardant le focus sur les pêcheurs, on multiplie les champs d’action en impliquant la population. En effet, autour de la course aux canots, se greffent différentes autres activités de loisirs dans le but de permettre aux jeunes et aux moins jeunes d'en profiter.

Les activités, dans le secteur des spectacles, en plus d'offrir une tribune aux talents des jeunes, aident ces jeunes à développer leur confiance en eux. Les animations du public, incluant des cadeaux de prix de présence, stimulent la population à maintenir une vie plus équilibrée en sortant de leur quotidien, sans compter les jeux bien appréciés du public.

Ajoutons à cela l’implication de la population dans le nettoyage des plages où va se dérouler l’évènement, activité qui sert à sensibiliser la population sur l’importance de garder propre son environnement.

HSC apporte une contribution importante à la vie économique et culturelle des gens du Nord, pas seulement à celle des pêcheurs. Ces rassemblements amplifient la vente par les petits marchands ambulants de plus de 5 produits : sucrerie, fresco, saucisse grillée, pop-corn, crème à la glace. Les commerces situés dans les environs du site de l’évènement bénéficient aussi de l’achalandage, sans oublier les professionnels et techniciens impliqués dans la structure d’organisation. Chacun de ces maillons stimule l’économie de la région. Nous pouvons donc sans hésiter dire que HSC a un impact positif au niveau de l’éducation, de l’environnement et de l’entrepreneuriat.

Dans l’objectif de rendre totalement autonome HSC et d’en assurer la pérennité, les deux fondateurs qui ont jusqu'ici porté à bout de bras cet organisme ont récemment créé une structure d’administration indépendante. HSC est désormais un OSBL (organisme sans but lucratif) légalement reconnu, géré par un comité administratif composé de 18 membres, citoyens du milieu soucieux du bien-être de la population et dépourvus de toute ambition politique. Nous retrouvons entre autres : Contracteur, Podium, Logistique, Media, Food and Breuvage, VIP, Sécurité, Tourisme. … Aujourd’hui, Fatima Group peut dire qu’il a gagné le pari.

C’est cela la responsabilité populationnelle.

Source : Lita Béliard

Crédit-photos :

Références

1. Fédération des Centres d’action bénévole du Québec (FCABQ). Le bénévolat. Site web de la FCABQ consulté le 8 novembre 2024.

2. Soucaneau Gabriel. 25 novembre 2016. Le Konbit, l’âme de la paysannerie haïtienne. Site web de Ayibobo Post consulté le 8 novembre 2024.

3. Kika Team Uma Haïti Sailing Cup 2018.

4. Pour plus d'informations et pour suivre l’évolution de Haïti Sailing Cup (HSC), veuillez-vous référer à son site web et à sa page Facebook.