Le Cap-Haïtien a toujours été le foyer très actif d’une presse militante, une vieille tradition qui remonte d’aussi loin qu’aux premiers jours de l’indépendance. Rappelons ici qu’au XIXème siècle tout homme politique se devait de fonder son journal de combat dans le but de faire connaître ses ambitions et diffuser ses idées. Prenons pour seul exemple Anténor Firmin et son Messager du Nord, cet organe de presse dans les colonnes duquel le jeune politicien étalait ses convictions et les grandes lignes de son programme administratif.
Au début du XXème siècle, le Cap publiait son quotidien, Le Câble, un journal qui disparaîtra seulement au début de l’Occupation américaine. Pendant toute la période de l’Occupation les militants nationalistes comme Jérôme Adhémar Auguste combattront « l’envahisseur » dans les colonnes deL’Ami de l’Ordre, une publication hebdomadaire fondée en 1897. Profitons-en pour souligner l’action des très combatifs Pasteur Albert, Emmanuel Pauld, Louis Édouard Pouget, Richard Constant ou bien encore Clamart Ricourt, tous ces « cacos de la plume » qui, pendant les dix-neuf années qu’aura duré l’Occupation américaine et cela en dépit des persécutions, des amendes et de la prison, persisteront à dénoncer les abus de droit faits aux paysans, aux sans voix, aux plus humbles de la société.
Durant la période allant de 1930 à 1960 paraissait une abondante floraison de publications comme la revue mensuelle Le Bibliophile, des hebdomadaires commeLes Annales Capoises de Roger Bissainthe, La Lanterne d’Auguste de Catalogne, L’Embuscade de Wilmain Riché, L’Étincelle d’Alexandre Lerouge, Les Échos du Nord dirigé par Hébert Piquion, La Montée de Mario Séide et Nelson Bell, Le Septentrion d’Henriquez G. Victor et puis enfin Le Nouveau Monde, hebdomadaire fondé en 1958 par Luc Fouché et dirigé par Gérard de Catalogne. S’il faut excepter Le Nouveau Monde qui déménagea ses presses à Port-au-Prince pour devenir le quotidien officiel du gouvernement, toutes ces publications (sauf Le Septentrion) entrèrent prudemment « en sommeil » à l’arrivée de la dictature duvaliériste et ne feront plus que de sporadiques apparitions avant de disparaître définitivement l’un après l’autre.
C’est le 1er mai 1945 que la radio fit son entrée dans les foyers de la ville du Cap. En effet, M. Julien Lauture fondait la HHCP, La Voix du Nord, qui émettait sur ondes courtes dans la bande des 49 mètres. Le technicien de cette radio s’appelait Émile Anacréon et c’est lui qui en deviendra le propriétaire lorsque M. Lauture la lui céda au moment où il quittait la ville. Le principal animateur de cette nouvelle station de radio s’appelait Arsène Méhü. C’est celui-ci d’ailleurs qui présenta le candidat Henri « TOM » Laraque au peuple du Cap au moment du retour de ce dernier dans sa ville natale. C’était au cours d’un grand rassemblement populaire tenu sur le Champ-de-Mars et retransmis par la HHCP, La Voix du Nord. Le très populaire Henri « TOM » Laraque, un demi-frère de Rosalvo Bobo, suscita la pleine adhésion des masses prolétaires très vite séduites par cette nouvelle voix politique mobilisatrice et désintéressée. Elles appréciaient son slogan choc: « Travail, Ordre, Méthode » et attendaient la création de ces milliers d’emplois que promettait ce candidat au grand cœur qui disait même renoncer à son salaire de chef d’État pour se consacrer uniquement au bien-être de ses concitoyens. En apprenant la défaite de leur idole aux élections sénatoriales de 1946, ses partisans des quartiers populaires du Cap crièrent à la fraude et se révoltèrent. Comme on sait, la police ouvrit le feu sur les émeutiers faisant plus d’une centaine de morts et de blessés. Aussitôt après ces événements, la junte militaire décréta l’état de siège sur tout le territoire national.
Le 15 août 1950, un deuxième poste de radio était inauguré et commençait à diffuser ses émissions sur les mêmes fréquences des 49 mètres. C’était la Radio Citadelle, la 4VWA, propriété de Jean-Baptiste Dorothée, alias « Papacite », et du technicien Sirvès Wainright. Les annonceurs Georges Boncy, Raphaël Bernovil, Toussaint Guerrier, Fabert Jean-Pierre et Raymond Piquion feront les beaux jours de cette station de radio tandis que Raoul Villard, Édouard Dufresne dit « Ti Kappeman » et Emmanuel Ménard faisaient ceux de la Voix du Nord, sa concurrente.
Signalons ici l’arrivée en ville de deux postes de radio religieux au début des années 1960. Ce sont La Voix de l’Ave Maria qui diffusait depuis les locaux de l’évêché et La Voix évangélique d’Haïti (4VEH) radio appartenant à une mission protestante américaine dont les studios se trouvaient à Vaudreuil, en banlieue de la ville, et les transmetteurs à La Petite Anse. Dirigée par le R.P. Jamier, La voix de l’Ave Maria assurait la retransmission quotidienne du chapelet en famille et son principal animateur en était le R.P. Augustin. La 4VEH diffusait surtout de la musique gospel, mais il est sans doute intéressant de noter que les plus grands succès d’écoute de sa grille-horaire auprès de l’auditoire auront été ses émissions de musique classique animées l’après-midi par Henri Saint-Clair.
Pendant des années et plus particulièrement celles précédant la chute de la dictature duvaliériste, la radio allait jouer un rôle mobilisateur auprès des masses populaires de la ville et les animateurs jugés un peu trop fougueux seront fréquemment molestés par les autorités en place pour commentaires politiques délictueux. Quand, par exemple, Jacques Marcellus alias Nègre Marron, se sentit menacé par la police, il lança un appel de détresse à ses auditeurs qui accoururent par milliers pour venir se masser devant les studios de La Voix du Nord afin de le protéger. Lorsque, peu après, Jacques Marcellus et Jacques Thomas, les deux animateurs vedettes de cette même station furent arrêtés et acheminés à Port-au-Prince, leur détention suscita de grandes vagues d’émotion dans la population qui ne prendront fin que lorsque le préfet, Auguste « Gusto » Robinson, alla chercher les deux animateurs qu’il réinstalla lui-même devant leur micro. Signalons pour finir que La Voix du Nord et la Radio Citadelle disparaîtront et l’un et l’autre dans le courant des premières années du 21ème siècle.
De nos jours, les stations de radio locales diffusent en modulation de fréquence et doivent désormais rivaliser avec la télévision, les téléphones cellulaires sans compter l’émergence pléthorique des réseaux sociaux. En ce qui concerne la presse écrite, les trente ans de dictature l’auront tellement malmenée qu’elle a presque complètement disparu. On ne peut que se lamenter de ce triste état de fait et rester nostalgique de cette époque aujourd’hui révolue où nos journalistes se donnaient pour vocation la défense des libertés civiles, protégeaient courageusement leurs concitoyens menacés par les pouvoirs en place, engageaient les plus orageuses polémiques afin de répandre leurs idées et faire valoir avec force et conviction la justesse de leurs opinions politiques.
Charles Dupuy